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beauté. Tant qu’il s’agit de renseignemens philologiques ou biographiques, je suis plein de curiosité, je frappe à toutes les portes, j’ouvre avidement tous les volumes qui peuvent m’éclairer sur la vie et les études d’un poète ou d’un statuaire ; mais, dès que je me trouve en face de ses œuvres, c’est à moi-même que je m’adresse pour savoir ce que j’ai à dire. Je n’ai pas la prétention de rencontrer toujours la vérité ; si je me trompe, ce n’est pas du moins faute d’avoir étudié l’homme que j’entreprends de juger. Ainsi je parle de la tribune des Cent-Suisses sans tenir compte des opinions exprimées depuis deux siècles sur cet ouvrage. J’oublie qu’il a plu à des hommes très éclairés d’ailleurs, compétens sur d’autres matières, de voir dans les caryatides de Jean Goujon une perfection à l’abri de tout reproche, une pureté, une simplicité, qui rappellent les plus belles œuvres de Phidias. Je ne perds pas mon temps à comparer ces louanges exagérées au blâme chagrin exprimé sur le même sujet. Je ne confie à ma parole que ma pensée personnelle, et j’accepte sans dépit toutes les remontrances qui me convaincront d’erreur.

Nous retrouvons dans la fontaine des Nymphes toutes les qualités précieuses, tous les mérites variés qui nous ont frappé dans la Diane et dans les caryatides. Il y a lieu de croire, d’après les témoignages les plus dignes de foi, que Jean Goujon fut l’architecte aussi bien que le sculpteur de cet admirable monument. La fontaine que nous voyons aujourd’hui n’est pas celle qu’avait construite l’auteur de la Diane. L’oeuvre de la renaissance, transportée en 1785 de la rue aux Fers au marché des Innocens, fut agrandie, mais non pas embellie, par un ancien pensionnaire de Rome, praticien assez habile, mais parfaitement incapable de retrouver, de reproduire le style de la renaissance. On a peine à comprendre que Pajou ait accepté une pareille tâche et n’ait pas senti qu’elle était au-dessus de ses forces. Pajou avait vécu familièrement, et pendant plusieurs années, avec les monumens de Rome et de Florence. Il avait pu consulter directement l’école dont Jean Goujon a suivi les leçons, mais l’inspiration lui manquait. Il n’a su ni se montrer original ni s’associer à la pensée de l’auteur, si bien que ce monument, remanié deux cent trente-trois ans après le dernier coup de ciseau de Jean Goujon, est maintenant une personne à deux visages. Je ne veux pas parler des sculptures de Pajou. Quant aux sculptures de Jean Goujon, un seul mot suffit pour les caractériser : c’est l’idéal de la grace. Les nymphes et les tritons qui décorent cette fontaine sont dessinés avec une élégance qui n’a jamais été surpassée, et modelés avec une simplicité, une largeur qui étonne et désespère tous les hommes du métier. Ces figures, inventées avec une verve, une spontanéité qui ne se dément pas un seul instant, méritent vraiment le nom de bas-reliefs dans l’acception étymologique