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pression pure et savante de la forme humaine : ces deux artistes puissans ont sans doute interprété la nature d’une manière éloquente, mais la langue qu’ils parlent si habilement n’est pas toujours assez simple, assez sévère. C’est pourquoi, dût-on m’appliquer la parole du poète romain, dût-on m’accuser de louer le passé à la manière des vieillards, je ne crains pas de recommander aux statuaires l’étude de l’art grec, comme plus profitable et plus féconde que l’étude des meilleurs ouvrages de l’art moderne. Il n’est pas inutile d’interroger Donatello et Ghiberti, Michel-Ange et Jean Goujon, Pujet et même Coustou ; mais il ne faut jamais oublier qu’Athènes nous a laissé des œuvres d’un goût plus pur, d’une simplicité plus éclatante, d’une grandeur plus vraie que toutes les œuvres modelées en Europe depuis la renaissance. Cependant je ne voudrais pas non plus recommander l’étude exclusive de l’art grec. Si la Cérès, la Proserpine et les Parques laissent bien loin derrière elles les caryatides de Jean Goujon, si l’Ilissus et le Thésée sont d’un style plus élevé que le Moïse de Saint-Pierre-aux-Liens, ce n’est pas une raison pour chercher dans les tympans du Parthénon l’enseignement complet de la statuaire. L’étude de l’art antique ne dispense pas de l’étude de la nature. Ce serait mal comprendre le génie de l’antiquité que d’imiter ses œuvres sans suivre sa méthode. Or, il n’est pas douteux que Phidias ait constamment mené de front l’étude de la nature et l’étude des belles œuvres faites avant lui. Il ne s’est pas tenu servilement aux leçons de l’école d’Égine ou de l’école de Sicyone ; il s’est servi des belles œuvres de ces deux écoles pour comprendre plus profondément la nature qu’il avait devant les yeux, et ne s’est pas servi avec moins de profit de la nature elle-même pour mieux comprendre les belles œuvres. C’est dans ce double travail, dans cette double étude poursuivie avec ferveur, avec persévérance, qu’il faut chercher le secret, non pas du génie, mais du savoir de Phidias. Si Phidias n’a fondé l’école d’Athènes qu’en cherchant dans la nature quelque chose qu’Égine et Sicyone n’eussent pas encore aperçu, le chef de la future école, quelle que soit sa patrie, qu’il étudie sur les bords de l’Arno, du Tibre ou de la Seine, devra suivre l’exemple de Phidias, et se proposer comme lui, tour à tour, l’interprétation des œuvres par la nature et de la nature par les œuvres. C’est à cette condition seulement qu’il lui sera permis d’espérer pour son nom une longue et légitime renommée. Toute imitation servile est frappée de stérilité. Quoique Phidias soit au-dessus de Jean Goujon, il ne faut pas plus copier Phidias que Jean Goujon, car ce serait le plus sûr moyen de n’égaler ni l’un ni l’autre. Il faut se fier à l’art grec, consulter discrètement l’art moderne, et ne jamais oublier l’étude du modèle vivant, que Phidias et Jean Goujon n’ont jamais oubliée.

Gustave Planche.