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Formons-nous d’abord une idée nette de ce qui ne se sent que trop, la pauvreté de la société. L’espèce humaine est sujette à beaucoup de besoins : il faut qu’elle soit nourrie, vêtue, logée ; à ces nécessités s’en joignent d’autres qui, pour être d’un ordre plus idéal, ne laissent pas que de réclamer des objets matériels : des livres, des tableaux sont par un côté de la production matérielle. Tous les articles, dont je pourrais prolonger la liste à l’infini, qui répondent à la diversité des besoins des hommes sont de la richesse. Plus la société en a, pourvu qu’ils soient les uns par rapport aux autres dans certaines proportions, plus elle est riche ; moins elle en a, plus elle est pauvre.

Le travail de la société est le thaumaturge qui lui procure toutes ces choses. Chaque jour elle consomme ; mais aussi, en travaillant, chaque jour elle renouvelle le fonds nécessaire à sa consommation. Quand le travail se ralentit, la société épuise par degrés ses approvisionnemens en tous genres. Elle a moins de ce qu’il lui faut pour se nourrir convenablement ou pour se nourrir absolument, moins pour se couvrir, pour se chauffer, moins pour cultiver et orner son esprit, développer ses facultés ; de l’insuffisance, on passe par degrés au dénûment. La misère envahit toutes les classes, pareille à une inondation qui submerge successivement les vallées, les terrains en pente, les collines. Que le travail cessât complètement une année, le dernier jour de nos sociétés populeuses serait venu, et le soleil, avant de rouler au-dessus de la terre, désormais solitaire, éclairerait des scènes renouvelées de l’affreux banquet de Thyeste et d’Atrée.

Ces mots : La société française est pauvre, signifient : La France, par son travail journalier, tel qu’il est présentement, ne produit pas la quantité d’alimens, de vêtemens, d’articles de chauffage et d’ameublement qui serait indispensable pour donner un bien-être même grossier à ses trente-six millions d’habitans. Cette activité nationale qui laboure la terre, qui sème, qui taille, qui plante, qui élève le bétail et qui pétrit le pain, qui fouille dans le sol, qui gâche le mortier, taille la pierre et le bois, qui rabote, qui martèle, qui forge, qui tisse et plonge les tissus dans la cuve à teinture, qui, quelque temps qu’il fasse, se meut sur les routes, sur les rivières, sur les canaux, qui brave les mers, défie les glaces du pôle et les ardeurs du soleil équatorial, ce Briarée qui agite les bras du 1er janvier au 31 décembre, ne parvient pas à retirer de la surface du sol, ou des entrailles de la terre, ou des mécaniques et appareils déjà multipliés cependant, une somme de blé, de viande, de fruits de toute espèce, une masse d’ameublemens, de vêtemens, de bois, de houille, de métaux divers, de matériaux à bâtir, qui réponde à l’aisance la plus élémentaire pour trente-six millions d’hommes, même en se servant des échanges pour tirer de l’étranger ce qu’il fait mieux ou plus facilement que nous, en retour de ce que nous faisons mieux ou plus