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mousquet et à l’artillerie. Le capital n’est rien moins que la substance de l’amélioration populaire.

On s’est demandé souvent comment l’Angleterre avait pu supporter les sacrifices inouis que lui imposa la guerre de 1792 à 1815, car ses dépenses étaient hors de proportion avec celles des autres nations de l’Europe. En voici l’explication : l’Angleterre avait par avance plus de capital que les autres, et elle l’employait avec beaucoup de discernement. Elle avait plus de machines et d’instrumens divers, et elle les avait meilleurs que tout ce qui existait dans les ateliers du continent. Elle avait su aussi mieux diviser le travail. De cette manière, la puissance productive de la nation anglaise était telle qu’après que sur le produit total on avait prélevé, par l’impôt ou par l’emprunt, peu importe ici, de quoi subvenir aux dépenses militaires et aux subsides qu’on payait à l’étranger, quelque énorme que ce fût, il restait encore assez pour faire subsister la nation. Sur le continent au contraire, faute d’un capital égal et également bien employé, la puissance productive de la société était tellement bornée, que, lorsqu’on prélevait par tête ici la moitié, là le tiers ou le quart de ce que l’état absorbait en Angleterre, la nation exténuée ne pouvait continuer. Je ne conteste pas le rôle que joua, dans cette lutte terrible de l’Angleterre contre le géant des temps modernes, l’esprit patriotique de ses habitans ; néanmoins, quelque grand que fût ce fonds de patriotisme, l’Angleterre l’eût épuisé en inutiles efforts, si elle n’avait possédé tant de capital, et n’eût su l’employer si bien en comparaison de la brave nation qui suivait l’étoile du grand empereur.

Je ne voudrais pas que l’on prît cette apologie du capital pour un dithyrambe en l’honneur des capitalistes. Que le capital soit extrêmement utile, ce n’est pourtant pas une raison pour que l’Académie décerne le prix Monthyon aux capitalistes en corps transformés en rosières. Que parmi les capitalistes il y en ait de cupides, je ne le conteste pas ; chaque classe de la société a son égoïsme et parmi ses membres quelques hommes d’une avidité extrême. Le capitaliste qui fait valoir ses fonds pense à son intérêt, recherche son profit, et c’est tout ce qui l’occupe ; il ne songe point à bien mériter de la patrie et de l’humanité, tout comme l’ouvrier qui gagne un labeur ne pense pas à faire acte de civisme. Il se peut même que les classes qui depuis long-temps amassent du capital par leur économie aient contracté, à force d’économiser en se privant, une rigueur envers elles-mêmes qu’elles font sentir durement quelquefois à leur prochain. Quoi qu’il en soit, le capital est une force qui ne peut se révéler qu’en multipliant les produits nécessaires aux besoins des hommes, et dont l’intervention toujours croissante tend sans cesse à diminuer les frais de production, circonstances qui sont l’une et l’autre favorables au grand nombre.