Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/325

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui peut frapper les imaginations crédules, mais qui, dès qu’on y porte la main, se réduit à de misérables jeux d’optique. Ayons donc la force d’être justes ; ayons, d’abord par rapport à nous-mêmes, puis par rapport à autrui, le courage d’être libres[1].

Parlons de la liberté. Convenablement entendue, elle comprend la justice, puisque celle-ci pourrait se définir la liberté réciproque. Il faut distinguer la liberté civile et la liberté politique : la première est la latitude qu’a le citoyen de suivre son libre arbitre dans l’exercice et le développement de ses facultés, dans la gestion de ses affaires, dans la disposition de sa propriété et de sa personne ; la seconde est le droit de s’immiscer dans le gouvernement de l’état. La liberté politique tire son prix principal de ce qu’elle est la garantie de la liberté civile, qui est, elle, l’objet de la civilisation. Nous nous occupons surtout de la liberté civile, dont la liberté politique est le boulevard.

Je n’ai pas à démontrer en détail comment chez les peuples modernes la liberté importe à la fécondité du travail. J’en atteste la conscience du genre humain ; c’est une vérité qui ressort du fond même de la société par tous les pores. Un éloquent historien moderne l’a dit : tout être humain, s’il a sa liberté, tend à améliorer sa condition, en même temps que les connaissances humaines, filles de la liberté, tendent à la perfection, et ces deux forces, qui se confondent dans le principe de liberté, ont suffi souvent, même lorsqu’elles étaient contrariées par de grandes calamités publiques ou par de mauvaises institutions, pour pousser rapidement la civilisation en avant. Les événemens malheureux, les vices des gouvernemens, n’auront jamais, pour rendre une nation misérable, autant d’influence qu’en auraient, pour la rendre prospère, le progrès continu des sciences applicables et le travail soutenu de chaque membre de la société pour améliorer son sort. Il est souvent arrivé que la profusion des dépenses, la lourdeur des impôts, l’absurdité des restrictions commerciales, la corruption des tribunaux, la guerre, les séditions, les incendies, les inondations,

  1. Quand on se permet de désigner ainsi les signes auxquels se révèle le progrès de la civilisation, il est utile de s’appuyer sur l’autorité des maîtres. Je ferai donc remarquer que ces deux forces, la liberté et la justice, répondent dans ma pensée et répondront, je l’espère, dans celle du lecteur, aux deux élémens de la civilisation indiqués par M. Guizot dans son Histoire générale de la Civilisation en Europe (leçon Ire), qui représentent, l’un le progrès de l’individu, l’autre le progrès de la société ; celui-ci l’amélioration de la condition sociale, celui-là le développement de l’individu ; l’un par lequel l’homme acquiert une vertu ou une idée de plus, l’autre qui fait que la société est mieux réglée, que les droits et les biens sont répartis plus justement entre les individus : à ces traits, on m’accordera que j’ai pu nommer, l’un la liberté, l’autre la justice. M. Cousin, dans un beau morceau qui fut l’objet d’une communication à l’Institut en novembre 1846, et dont je citerai plus loin quelques lignes, emploie les termes mêmes de liberté et de justice.