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caisse de retraite et un mode de comptabilité à la faveur duquel les familles profitent du salaire du marin éloigné, Colbert compensa suffisamment pour l’époque les charges qu’il imposait aux populations maritimes pour le service du roi. Aujourd’hui, il n’y a plus de compensation qui puisse balancer le sacrifice de la liberté pour la vie. Les gens de mer sont fondés à revendiquer purement et simplement le droit commun. S’ils en étaient à vendre leur liberté, en admettant que la loi pût sanctionner un marché de ce genre, le prix qu’on leur en donne serait insuffisant. Parmi les faveurs dont ils jouissaient, quelques-unes leur ont été ravies. Le droit de pêche a cessé d’être leur patrimoine exclusif. Les propriétaires des bords de la mer et des baies ont couvert les rivages de filets permanens, ce qui a rendu la pêche moins profitable pour les pêcheurs de profession. De là des doléances qui trouvèrent un organe éloquent, il y a quelques années, dans M. Fonmartin de Lespinasse. Les propriétaires se sont fondés sur la liberté du travail, très bien ; mais les marins peuvent revendiquer aussi bien cette liberté, et alors c’en est fait de l’inscription. Le mode de comptabilité qui, moyennant une retenue sur les salaires et l’affectation de quelques ressources spéciales, permet d’accorder de modiques retraites aux marins et de faire toucher une partie de leur solde à leurs familles pendant qu’ils sont au loin, mérite d’être conservé. C’est une caisse spéciale de retraite, de secours et d’épargne pour les gens de mer ; mais, puisqu’on fonde des caisses de retraite, de secours et d’épargne pour tout le monde, il n’y a pas lieu à tirer argument de celle-là pour perpétuer la servitude à laquelle ces braves gens sont condamnés par une dérogation flagrante au droit commun. L’armée de mer, en Angleterre, aux États-Unis, en Hollande, est recrutée par l’enrôlement volontaire ; si les mots d’égalité et de liberté ne sont pas sur la devise nationale uniquement pour la parade, il est nécessaire qu’il en soit de même en France, au moins en temps ordinaire, sauf à recourir à des moyens exceptionnels dans les circonstances extraordinaires.

Quelque formelle que soit la condamnation exprimée ici contre le régime de l’inscription maritime, je tiens à dire cependant que le mode de recrutement en vigueur pour l’armée de terre est en fait plus préjudiciable encore à la production de la richesse, plus contraire au droit que possède le citoyen de tout état libre de suivre sa profession. L’existence que mènent les gens de mer au service de l’état ne leur désapprend pas leur profession, ne leur en inspire pas le dégoût. À bord d’une frégate ou d’un vaisseau de ligne, le matelot est encore matelot : il l’est dans des conditions où son aptitude se développe ; mais, dans un régiment, le menuisier, le forgeron, le maçon, le laboureur, ne sont plus rien de ce qu’ils étaient : ils sont des fusiliers. À l’exception d’un petit nombre qui se placent à leur convenance dans