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parmi beaucoup d’autres qui sont médiocrement rétribuées. L’opinion populaire doit se montrer sévère contre cet abus, dont, au reste, il ne faut pas s’exagérer l’étendue. Ceux qui en donnent l’exemple doivent être regardés par le peuple comme trahissant la cause commune. Lorsque, chez les classes ouvrières, l’opinion de la majorité, qui est saine, aura acquis la force salutaire de réprimer parmi elles la dissipation, elles ne tarderont pas à être établies d’une manière inexpugnable dans la position que leur promettent les principes de la civilisation moderne. Elles réagiront invinciblement alors sur les classes riches et aisées elles-mêmes pour y contenir les dissipateurs. La formation du capital aura une rapidité jusqu’ici inconnue, et la misère sera débusquée vivement de position en position. Par contre, si chez les classes ouvrières l’opinion ne se fortifiait pas assez pour exercer cet ascendant moral parmi elles et pour envoyer au-dessus d’elles cet irrésistible enseignement, elles devraient s’attendre à n’avancer qu’à pas bien lents vers un sort meilleur. L’extension que prenaient les caisses d’épargne avant 1848 est un des symptômes les plus rassurans de l’époque. À Paris alors, une personne par six habitans mettait à la caisse d’épargne. Une nation qui a pris de telles coutumes semble pourtant digne d’une bonne destinée.

La responsabilité personnelle est un des caractères essentiels des mœurs non moins que de la législation chez les peuples libres. C’est le complément et la sanction de la liberté tant civile que politique. Plus la civilisation avance, plus la responsabilité s’attache aux pas de l’homme. Dans la doctrine du paganisme antique, l’homme est soustrait à l’étreinte de la responsabilité par le caprice de l’aveugle destin dominateur des dieux eux-mêmes ; parmi les mahométans, il l’est par la fatalité. Une des preuves de l’excellence du christianisme, c’est que par lui les limites de la responsabilité ont été indéfiniment reculées. Devant Dieu, elle est sans bornes. La tendance des mœurs et des lois chez les peuples chrétiens, ce qui revient à dire les peuples libres ou appelés à la liberté, est que de plus en plus l’homme soit responsable envers la société, responsable vis-à-vis de lui-même. Il l’est par devant la loi, qui, de préventive qu’elle était, devient plutôt répressive ; il l’est par devant l’opinion, puissance ignorée chez les peuples qui ne connaissent pas la liberté, mais souveraine chez les peuples libres, qui rend des arrêts non moins redoutables que ceux du magistrat, et dont la juridiction ne connaît pas de limite, à la différence des tribunaux qui en ont une strictement bornée. Si vous voulez savoir à quel degré une société est libre ou mérite de l’être, sachez à quel point le commun des hommes y porte ou y peut porter la responsabilité de son sort. Lorsque les novateurs ont cru servir la cause du progrès social par des systèmes où la responsabilité était abolie ou extrêmement restreinte, ils se