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espagnole ? Pourrait-elle raisonnablement préférer au monopole de la consommation péninsulaire et au partage des divers débouchés européens que la Péninsule est en mesure de s’ouvrir, nous ne savons quelle solidarité de dupe avec les États-Unis, dont les denrées tropicales, grace au bas prix des terrains, grace surtout à la facilité et au bon marché des transports terrestres, supplanteraient bien certainement les siennes auprès des consommateurs américains, — dont tous les débouchés extérieurs sont déjà conquis et desservis, — dont les développemens agricoles, qui pis est, tendent de plus en plus à dépasser les besoins de la consommation tant intérieure qu’extérieure ?

Enfin, et ceci répond à tout, quels sont ces symptômes de sourde irritation que la presse annexioniste des États-Unis prétend avoir découverts parmi les propriétaires de l’île ? A des suppositions que rien n’autorise, on peut opposer un fait : à deux reprises depuis 1848, l’autorité coloniale a manqué de fonds, et chaque fois les planteurs et les négocians se sont spontanément cotisés pour lui faire une avance. Est-ce là un indice, nous ne dirons pas de mauvais vouloir, mais d’indifférence envers la métropole ? Est-ce encore un symptôme de séparation que l’empressement des capitalistes de la colonie à souscrire pour les chemins de fer espagnols ? L’élément annexioniste qui s’est manifesté dans la classe des propriétaires, le voici : en 1848, cinq ou six jeunes gens frais sortis des collèges de New-York furent impliqués dans la première conspiration du général Lopez. À vingt ans, on est annexioniste à la Havane, comme on est révolutionnaire à Paris, ce qui ne tire pas à conséquence. À vingt-cinq, on devient substitut ici, planteur là-bas. Nous ne sachons pas d’ailleurs que la prévoyance quelque peu triviale du général Lopez, partageant d’avance à sa bande, au vu et su des autorités américaines, les plantations de Cuba, et laissant pour tout souvenir héroïque dans l’île celui d’une serrure forcée, soit de nature à poétiser pour ces jeunes têtes les idées d’annexion.

Restent les questions d’impôts et de libertés. Cuba, qui est peuplée d’un million deux cent mille habitans, est grevée d’un impôt total (droits de douanes compris) d’un peu moins de 11 millions de piastres, soit environ 45 francs par tête, ce qui, en tenant compte de la valeur relative de l’argent dans les Antilles, ne représenterait certainement pas en Europe 35 francs. Or, veut-on savoir ce que paie, non compris les droits de douanes, la province de Madrid, où la production est à peu près nulle, et où par conséquent les capitaux qui desservent la consommation madrilègne ne s’arrêtent que peu et point ? 43 francs par tête : de sorte que la plus florissante des Antilles est beaucoup moins grevée que la province la plus infertile d’Espagne[1]. Y a-t-il encore là de quoi justifier les déclamations annexionistes, et ne peut-on pas affirmer à coup sûr que ces innombrables taxes locales qui font partout cortége à la civilisation anglo-américaine prendraient à Cuba plus de 11 millions de piastres ? Ajoutons que, sur cette somme, le budget de la métropole n’absorbe qu’un peu plus de 12 millions de francs : est-ce payer bien cher le débouché de seize millions de consommateurs

  1. Nous ne parlons encore ici que des impôts généraux. À part un droit minime sur le revenu net des immeubles des villes, les habitans de Cuba ne paient pas d’impôts municipaux ; et on sait combien ces impôts sont lourds en Espagne.