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nous trouvâmes établis en Égypte sous le nom de mamelouks : ce sont les timariotes et les sipahis de la Turquie.

Avant 1830, la régence d’Alger était soumise à ce système d’oligarchie militaire et administrée par des sipahis (cavaliers). Son territoire était partagé en trois gouvernemens contenant un certain nombre de sandjaks ou bannières, subdivisés eux-mêmes en douars. Chaque douar était commandé par un sipahi. Les sipahis ne représentaient point le baron féodal, ainsi qu’une analogie apparente pourrait le faire supposer ; ils n’avaient pas, comme les seigneurs, la propriété de la terre ; ils ne rendaient pas la justice, qui n’émane que du kadi ; enfin leurs fiefs n’étaient point héréditaires, ni même viagers. Ils tenaient chacun seulement un des fils du vaste réseau qui couvrait tout le pays et convergeait à Alger. Par eux, la collection des impôts et la police étaient vigoureusement centralisées, tout en laissant, conformément aux mœurs arabes, l’administration du douar aux mains des anciens et des chefs de, famille.

Ce système, comme on le voit, n’était point si illiberal, et il nous eût probablement épargné beaucoup d’embarras, si nous avions pu nous l’approprier à l’origine de l’occupation ; car il y avait quelque chose à prendre dans l’ancienne constitution de l’Algérie, et il n’était pas impossible d’y encadrer notre occupation militaire. Les bureaux arabes, créés trop tard, et qui ont rendu déjà de si bons services, montrent ce qu’on pouvait faire dans cette voie en y entrant plus tôt et plus complètement. Notre pouvoir se serait consolidé rapidement, et, sous la protection d’une puissante police militaire, la colonisation civile, but principal de nos efforts, eût pris racine, tandis qu’aujourd’hui elle est encore à naître.

La lecture du code islamique remue une grave question depuis long-temps posée et que nous voyons se reproduire à chaque complication nouvelle qui semble annoncer un orage du côté de l’Orient. L’organisation politique de l’islamisme, se demande-t-on, est-elle incompatible avec la civilisation moderne, ou comporte-t-elle des modifications successives qui, sans en altérer l’essence, l’associent aux besoins actuels de la société ? L’école saint-simonienne a contenu cette seconde thèse, non sans talent, mais avec des raisons plus ingénieuses que solides. L’opinion contraire s’appuie sur les enseignemens de l’histoire et sur l’expérience du présent. Dans le cas particulier qui nous occupe, il ne s’agit pas de savoir si le principe islamique est encore capable de fonder ou seulement de conserver un établissement politique. Nous avons, en Algérie, tranché la question par la conquête. Il ne nous reste plus qu’à rechercher la proportion exacte dans laquelle le droit civil islamique doit être combiné avec les nécessités de notre politique ; c’est ce que la connaissance des textes malékites permettra désormais de déterminer avec intelligence et précision, et de là pourrait résulter une association féconde. Quand on parcourt la loi musulmane, on est frappé entre mille pauvretés et minuties qui dérivent de son principe despotique, on est frappé, dis-je, d’y trouver si profondément empreints les principes éternels de toute société, le respect le plus absolu de l’autorité et un sentiment de fraternité inépuisable qui inspire à la communauté une préoccupation constante de ses membres pauvres, infirmes et malheureux. Écoutons le Mouktaç’ar au chapitre des Zekkaet : « On croira à toute