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— Je ne me moque pas d’eux, mon père, répliqua Marie ; ils m’ont demandé des indications que je suis toute fière de pouvoir leur donner. — En parlant ainsi, elle prit le bras de son père, et ils revinrent à l’habitation. Les Canadiens étaient loin déjà. Après avoir ramé le reste du jour, ils campèrent sur le rivage, et le lendemain ils commencèrent à reconnaître la terre promise qu’ils étaient venus chercher si loin. Aux plantations de coton devenues plus rares succédaient les champs de maïs cultivés par les petits blancs[1]. Peu à peu, les caïmans se montrèrent plus nombreux sur les grèves ; les dindes, errant par troupes dans les hautes herbes des savanes et sous les saules des îles, paraissaient moins effrayés du bruit des rames ; les perruches, réunies en bandes innombrables, faisaient retentir les bois de leurs cris rauques et discordans. À ces symptômes d’une solitude moins troublée, les Canadiens comprirent qu’ils touchaient au terme de leur voyage ; ils tournèrent la proue vers le rivage, et, s’enfonçant avec armes et bagages vers les hautes terres, — ainsi nommées par opposition aux terres basses et d’alluvion, — ils choisirent pour le lieu de leur établissement une colline couverte de sassafras. Ils se trouvaient à mi-chemin entre la rivière Rouge et la Sabine, petit fleuve encaissé, aux eaux troubles et rapides, qui sépare la Louisiane du Texas. Les bords de l’une de ces deux rivières leur eussent offert un sol plus riche et des sites plus pittoresques ; mais ils redoutaient les lièvres des lieux humides, sujets aux inondations. D’ailleurs il ne s’agissait pas pour eux de planter la canne à sucre ni de semer le coton, et la poésie n’était pas leur affaire.

Non, assurément, ces rustiques enfans de l’Amérique n’entendaient rien à la poésie, mais ils avaient l’instinct de cette puissante nature qui les attirait vers la solitude. Quand ils eurent pris possession de leur colline, le vieux Canadien, secouant sa tête blanchie par les années, respira à pleins poumons l’air vif et pénétrant de la forêt, et, s’adressant à ses deux fils : — Maintenant, mes garçons, leur dit-il, la hache à la main, et bâtissons ! — Lui-même il se mit à nettoyer le sol des broussailles qui l’obstruaient, tandis que ses deux fils allaient frapper de leurs cognées les arbres séculaires qui croissaient librement au versant du coteau. Pendant plusieurs jours, l’écho retentit du bruit de leurs haches, — travail de ruine et de destruction, quoi qu’on en dise, et qui attriste l’ame… En voyant rouler à terre ces arbres gigantesques, — ces rois de la forêt, comme les appellent les poètes hindous, — on songe malgré soi qu’il n’en poussera plus jamais de pareils ! Le log-house[2] fut donc bientôt construit. Il s’éleva sur la

  1. Nom que l’on donne aux créoles qui cultivent eux-mêmes une petite étendue de terrain.
  2. Maison fermée de troncs d’arbres à peine dégrossis.