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demandant à lui-même s’il irait jusqu’au bout. Ce mouvement, ces danses, cette foule bruyante, tout cela lui faisait peur. — Bah ! se disait-il, on ne m’a jamais vu à pareille fête. Tout le monde va me regarder… Le planteur sera là avec sa fille ! Me parleront-ils devant tant de personnes, à moi qui ne suis qu’un petit blanc ? Et puis, si elle me parle, qu’est-ce que je lui répondrai… Étienne est bien heureux, lui de savoir danser et d’être si hardi !…

Comme il raisonnait ainsi, ralentissant le pas et prêt à faire volte-face, Marie, qui suivait la même route, l’aperçut de loin. Laissant derrière elle son père, qui trottait doucement avec quelques amis montés sur des mules pacifiques, elle lança son petit cheval au galop et cria au grand Canadien : — Allons donc, monsieur Antoine, plus vite que cela, ou vous arriverez demain à la noce !

— Ni demain ni aujourd’hui, répliqua Antoine ; toute réflexion faite, je n’y vais pas. Qu’y ferais-je ?

— Mais ce que feront les autres !…

— Non, non, dit Antoine en secouant la tête, on me montrerait au doigt ; on dirait : Voilà le grand Canadien qui ne vient jamais à nos fêtes !

— Eh bien ! après ?… répliqua Marie, cela vous fait peur ! Et ces belles plumes que vous m’avez apportées, vous n’êtes donc pas curieux de voir comment elles iront à ma robe de bal ?

— Assez d’autres les admireront, répondit Antoine à demi-voix.

— Adieu, dit vivement Marie, je perds mon temps à vous prêcher ; les voisins ont raison de dire que vous êtes un sauvage ! Et mon père, qui prétend que vous changez à vue d’œil, que vous vous civilisez !… Allez, monsieur, allez dans vos bois, et, quand vous reviendrez nous voir, ne manquez pas de suspendre à vos oreilles des dents de crocodile, d’attacher des colliers a verroterie à votre cou, et de vous tatouer la face…

Tandis qu’elle disparaissait au galop dans l’étroit sentier, Antoine demeurait à la même place, immobile et confus comme un chasseur qu’une perdrix eût souffleté de ses deux ailes. — La voilà toute fâchée, pensait-il, et cela parce que je ne veux pas aller dans cette foule où je n’ai rien à faire ! S’il s’agissait de la conduire seule à travers les bois, de la mener jusqu’au Nouveau-Mexique, elle sait bien que je ne me ferais pas prier. Je me jetterais dans le feu pour sauver son père et elle aussi. Il n’y a pas de doute qu’elle sera bien jolie avec sa parure de bal, mais moins qu’elle ne l’était au bord du lac quand elle disait à son père : Grondez-moi, mais auparavant remerciez M. Antoine… Le souvenir de ce petit événement revint d’une façon plus vive au cœur du grand Canadien, que les reproches de la jeune fille avaient étourdi ; il marcha donc droit devant lui. La nuit venait, il approchait du lieu