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la peau d’ours qu’ils avaient apportée de leur excursion aux marais de la Sabine, fermèrent la cabane et partirent avec lui. Le vieillard marchait appuyé sur l’épaule d’Étienne ; Antoine allait en éclaireur. Quand ils eurent couru pendant une heure dans la forêt : — Mon père, dit l’aîné, retirez-vous dans la petite île de la rivière Rouge qui est en face de l’endroit où nous cachons notre pirogue. Personne n’ira vous y trouver. — Le vieillard fit un signe de tête, car il était hors d’haleine et ne pouvait répondre. Enfin, comme ils approchaient de la rivière, Antoine pria son père de lui permettre d’aller chez le planteur ou au moins de s’informer aux premières habitations de ce qu’il était devenu. — Deux coups de rame, ajoutait-il, vous mettront à l’abri de tout danger. Notre ami est loin de ses plantations, seul avec sa fille au milieu des bois ; s’il lui arrivait quelque chose…

À peine le grand Canadien avait-il fait quelques pas en s’éloignant de la rivière, qu’il crut entendre un hurlement sinistre. Il s’arrêta pour écouter… Le même cri retentit de nouveau. La carabine au poing, il se glissa dans un fourré et se mit à courir dans la direction du lieu où il venait de laisser le vieillard ; puis il réfléchit que la pirogue l’avait déjà déposé, ainsi que son frère, sur la petite île où personne n’abordait jamais. Après une longue course, il arriva à l’habitation d’été du planteur ; celui-ci se disposait à retourner au milieu de ses champs de coton. Marie, déjà remise d’une frayeur passagère, avait repris son enjouement et sa liberté d’esprit. Elle se moqua un peu des alarmes que le grand Canadien ressentait encore, et, pour le rassurer complètement, elle lui lut une lettre dans laquelle un ami de son père leur racontait tout ce qui venait de se passer au village.

— Je ne sais pas si tout est tranquille en bas de la rivière, répondit Antoine, mais je suis sûr d’avoir entendu ce matin le cri d’un sauvage…

— Ou d’une chouette effrayée, répliqua la jeune fille. Vous vous êtes mis en tête d’avoir peur, et vous n’en démordrez pas d’ici à huit jours. En attendant, accompagnez-nous jusqu’à la maison, et une autre fois, quand il y aura une noce dans le pays, que je ne vous retrouve plus sur les chemins, errant comme un fantôme. Mon Dieu ! que vous étiez bourru ce soir-là ! mais je vous pardonne, parce qu’en accourant vers nous aujourd’hui, vous avez fait preuve d’un bon cœur. Allons, partons.

— Mademoiselle, répliqua gravement Antoine, vous êtes en sûreté par ici, vous et votre père ; mon père à moi est en péril, je le crois du moins ; de plus, il est malade. Je vous quitte. — Le planteur lui tendit la main, et Antoine s’éloigna après avoir promis de venir bientôt à l’habitation donner des nouvelles du vieux Faustin.

Marchant avec précaution, mais d’un pas rapide, Antoine courut