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est possible de connaître la vraie situation et de tirer une conclusion juste. La littérature allemande, depuis 1848, nous offre une grande diversité de productions, des mouvemens en sens contraire, des inspirations qui ne se ressemblent pas ; tâchons d’introduire quelque lumière dans cette variété confuse ; dégageons, sans négliger les autres, la tendance la plus forte, et peut-être le résultat auquel nous arriverons, au lieu de n’être qu’un symptôme heureux, renfermera-t-il toute une leçon de morale.


I

Ce qu’il importe de signaler tout d’abord, c’est le retour de plusieurs écrivains éminens à leurs études de la veille. Dans les dernières années qui précédèrent les révolutions de 1848, des esprits impotens s’étaient avisés de rendre la société tout entière responsable de leur stérilité. Ce cri de l’orgueil : la France s’ennuie ! était reproduit sous une forme différente par tous les literats de l’autre côté du Rhin. « L’Allemagne a épuisé tous les sujets littéraires, le poète n’a plus de vers à chanter, l’historien n’a plus de grandes époques à célébrer, l’imagination germanique est à sec ! » voilà ce que disait sur tous les tons et par des centaines de plumes une littérature aux abois. Comme le talent secondaire se propage de plus en plus, comme un certain mécanisme de style est désormais à la portée de la foule, et qu’il n’y a jamais eu dans les lettres plus de vocations factices, l’impuissance des écrivains de hasard ne tarde pas long-temps à se révéler. De là, d’année en année, ces singulières clameurs qui ressemblent à un cri de détresse. En France, les littérateurs de cette famille se déclaraient les prophètes de la société, les conducteurs des peuples, et, comme tels, maréchaux et princes des lettres réclamaient de l’état toute une liste civile. En Allemagne, si les prétentions ne blessaient pas autant la dignité, étaient-elles moins bouffonnes ? Les lettrés ne demandèrent pas des millions, ils se contentèrent de signifier à la société qu’elle leur devait des inspirations nouvelles. « Une révolution, s’il vous plaît, pour ranimer la poésie qui s’éteint ! » Telle était la fin de cette complainte que je transcrivais tout à l’heure. Cette révolution est venue, la démagogie a promené au midi et au nord son drapeau sinistre, les plus dramatiques péripéties ont bouleversé la scène : où sont les œuvres qui devaient couvrir, comme des épis d’or, les sillons si profondément remués ? Les hommes qui parlaient si haut et se promettaient de si grandes choses sont tout honteux, à l’heure qu’il est, d’avoir vu leurs souhaits exaucés. Je n’en connais qu’un seul qui s’obstine dans sa théorie avec une intrépidité héroïque : c’est M. Richard Wagner, critique enthousiaste et naïf, dont un récent ouvrage, la Révolution et