Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/475

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait apparaître à nos yeux dans toute l’exubérance de ses passions cette nature indisciplinée. Fils d’un pasteur de la petite ville d’Aalen en Souabe, Schubart avait été destiné à la carrière ecclésiastique ; la place qu’il attendait ne s’étant pas trouvée libre assez tôt, l’impatient candidat accepte un emploi de précepteur à Geisslingen, et, à peine arrivé dans cette ville, il s’y marie. Cette double résolution, à ce qu’il parait, avait été prise un peu trop vite ; il ne fallut pas long-temps pour que le fougueux jeune homme fût las de ses fonctions et ennuyé de son paisible intérieur. Incapable de se plier aux prescriptions du devoir, emporté par une imagination intempérante, le théologien d’Aalen fut bientôt un libertin et un aventurier. La musique, à laquelle il s’était livré avec passion, lui procura des ressources, et l’introduisit même auprès des souverains. Nommé organiste et directeur des concerts de la cour par le duc Charles de Wurtemberg, il quitte Geisslingen pour Ludwigsbourg. Là, ses scandales, ses débauches, obligent sa femme à se séparer de lui ; il perd sa place peu de temps après, et recommence sa vie d’aventures. Il s’en va errant de ville en ville à travers le pays de Bade et le Palatinat, tour à tour mendiant et courtisan, toujours joyeux, quoique toujours misérable. Le prince de Bade le prend à son service ; mais bientôt il change de religion et va chercher fortune en Bavière. Il passe quelques mois à Munich, puis le voilà à Augsbourg, où il fonde son journal la Chronique allemande. Au milieu de cette vie désordonnée, il avait presque réussi à se faire un nom dans les lettres ; il avait du moins attiré sur lui l’attention des écrivains. Avec l’impétuosité ordinaire de ses sentimens, il avait conçu pour les maîtres de la poésie une admiration passionnée qu’il leur exprimait avec fougue. Klopstock le jetait dans l’extase. Il fut aussi en correspondance avec Wieland, qui répondait à ses naïves et chaleureuses épîtres en lui disant : Vous êtes né poète, vous êtes de ceux qui peuvent tout, qui peuvent faire parler ou les héros ou les pâtres ; tout ce que vous écrivez est poésie. Wieland se trompait : ce qui l’avait séduit dans les effusions du jeune homme, c’étaient des inspirations d’une minute, des accès et des éclairs du tempérament ; il manquait à Schubart cette élévation de l’ame, cette noblesse et cette constance de la pensée, sans lesquelles il n’est pas de poète digne de ce nom. Au contraire, quand il eut créé son journal, il sembla qu’il eût trouvé sa voie ; homme de verve soudaine, improvisateur éblouissant, il s’y prodiguait à l’aventure. Il était né, a-t-on dit, pour être un orateur révolutionnaire. Des écrivains de l’Allemagne l’ont comparé à Danton, et bien que les occasions, Dieu merci ! lui aient manqué, ses débauches, l’explosion de ses premiers mouvemens, ce mélange de cynisme et d’inspirations extraordinaires, paraissent justifier ce rapprochement. Dans cette paisible Allemagne de 1770, Schubart ne pouvait guère donner issue aux folles ardeurs