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s’était brusquement calmée, mais il en avait conservé maintes traces dans son langage, et l’on est souvent étonné de voir la révolution glorifiée dans le style d’une homélie. Schubart aurait-il été indigné comme ses maîtres des forfaits qui souillèrent bientôt cette grande cause, ou bien aurait-il suivi, dans son journal, ce Danton à qui on l’a comparé ? Avec cette fougue dont il n’était pas maître et qui l’emportait en tous sens, il est fort heureux pour sa renommée qu’il n’ait pas eu à prendre parti au milieu de ces horribles luttes. Schubart ne vit pas les journées hideuses de la révolution ; il mourut en 1791.

Tel est le bizarre personnage dont M. Strauss a recueilli la correspondance et raconté la vie. L’histoire littéraire doit des remerciemens à l’auteur pour cette curieuse étude ; les lettres, les poésies, les œuvres politiques de Schubart ont été jugées par M. Strauss avec une sagacité parfaite. Quant au moraliste, j’en ai peur, il est beaucoup moins digne d’éloges que le critique. Le biographe de Schubart s’est proposé surtout un problème de morale ; il veut étudier dans ce caractère étrange la lutte de l’esprit et des sens. Dans la période qui précède son emprisonnement, Schubart est tourmenté en effet par ce combat intérieur, et si d’abord sa nature indisciplinée l’entraîne dans des excès sans nombre, la partie spirituelle semble de jour en jour reprendre le dessus et diriger sa vie. Malheureusement, Schubart n’était pas encore tout-à-fait maître de lui-même ; l’injustice des persécutions qu’il eut à subir, les terreurs dont il fut obsédé dans sa prison, ébranlèrent bientôt tout son être et rompirent ce fragile équilibre. M. Strauss est très frappé de l’influence fatale de cet événement ; le désespoir de l’infortuné publiciste, cette conversion subite à un fanatisme d’où il retomba plus lourdement dans ses anciens désordres, lui paraissent une crise désastreuse dans cette existence qui peu à peu s’ordonnait. La violence sensuelle du prisonnier une fois abattue par la douleur, l’esprit se mit à divaguer. C’est, là que M. Strauss voulait en venir ; la morale de son étude, c’est l’union du corps et de l’ame, l’harmonie de la nature et de l’esprit. Cette harmonie, à l’en croire, le christianisme la rend impossible, et c’est dans l’ancienne Grèce seulement qu’on en retrouvera les modèles ; la Grèce seule a produit des hommes. Il serait bien inutile, ce me semble, de discuter ici ces singulières affirmations ; j’ai voulu surtout indiquer les embarras, les doutes, les marches et les contre-marches de M. Strauss au milieu de ces domaines de la pensée qu’il a contribué pour sa part à bouleverser si profondément. M. Strauss est persuadé que le christianisme est mort ; d’un autre côté, sur les ruines de ce christianisme ; renversé, à ce qu’il pense, par le développement général des esprits et en particulier par Hegel, il voit s’avancer, derrière MM. Feuerbach et Stirner, les monstrueuses armées du panthéisme, de l’humanisme, de l’égoïsme, les hordes féroces affamées clé jouissances. M. Strauss, en