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de ce qui le précède. Son originalité n’est pas dans ses œuvres même, elle est dans le mouvement qu’il a imprimé. Sa correspondance avec Fontenelle, avec Grimm, avec Voltaire, dit assez haut combien il lui tardait d’introduire son pays au sein de cette grande communauté intellectuelle à laquelle l’Italie, l’Espagne, l’Angleterre, avaient fourni tant de trésors, et dont la France alors tenait le sceptre. Cette préoccupation constante a été et demeurera l’honneur de son nom.

Or, après que Gottsched eut éveillé ainsi l’ambition de son pays, de jeunes esprits pleins de feu comprirent bientôt que le meilleur moyen de faire sa place à l’Allemagne, ce n’était pas d’imiter la France, mais de s’en tenir aux traditions germaniques. Ce mouvement, comme on sait, s’organisa en Suisse. Un écrivain de Zurich, Bodmer, en fut le promoteur enthousiaste ; il publia les Minnesinger, il traduisit Milton, il fit enfin pour la poésie épique et lyrique ce que Lessing fit plus tard pour le théâtre en popularisant l’étude et l’admiration de Shakspeare. Aidé de son ami et compatriote Breitinger, l’ardent novateur devint le chef d’une féconde école à laquelle vint s’unir en peu de temps tout ce qu’il y avait de jeune en Allemagne, et d’où sortit la grande littérature qui, de Klopstock à Goethe, a illustré la fin du XVIIIe siècle. Pour être fidèle aux prédications de Gottsched, pour créer une poésie vraiment nationale, l’école suisse dut se séparer de Gottsched même ; la lutte s’engagea surtout au sujet de la traduction de Milton. Est-il beaucoup d’esprits qui sachent se renouveler entièrement et suffire à deux époques différentes ? Gottsched avait rempli sa tâche ; dépassé par ses successeurs, il les combattit avec colère, et fut accablé sous les sarcasmes. Tandis qu’il s’obstinait dans une voie fausse, Klopstock publiait la Messade, Lessing remuait et fécondait la critique, l’Allemagne entière se déclarait contre le vieux maître. C’est ainsi que Gottsched, après tant de services rendus, apparaît dans l’histoire comme une sorte de pédant qui s’opposa à l’essor du génie germanique. La polémique impitoyable sous laquelle il succomba pèse encore sur sa mémoire. La postérité cependant, une fois la lutte finie, doit-elle consacrer l’inévitable injustice des contemporains ? M. Danzel ne le pense pas, et c’est ce sentiment qui lui a inspiré son livre. Le savant historien de la littérature allemande, M. Gervinus, s’était associé, en jugeant Gottsched, à toutes les passions qui agitaient le monde littéraire vers 1730 ; on croit entendre un prolongement de la bataille, au lieu d’un jugement élevé qui fasse à chacun sa part. Cette part de Gottsched dans le travail commun, M. Danzel l’établit parfaitement lorsqu’il résume ainsi le débat : Bodmer, Klopstock et Lessing ont compris, et c’est là leur gloire, quelle route devait suivre la littérature allemande ; mais l’idée et la création de cette littérature appartiennent à Gottsched. Tout ce que Gottsched a fait pour créer l’unité intellectuelle de son pays, son organisation