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cela vaut-il qu’on le remarque ? M. Klose a raison ; ces ménagemens seraient convenables dans une société moins infectée d’erreurs, moins dégradée par les passions mauvaises. Le mal est trop profond pour que cette diplomatie soit de mise. Il faut que la lumière se fasse et que les abîmes du mal soient sondés. La jeune école hégélienne est un des faits les plus importans de cette grande catastrophe sociale à laquelle nous assistons ; tout ce qui expliquera son histoire, tout ce qui pourra nous instruire sur ses doctrines, sur ses commencemens, sur ses affinités, sur la marche et le développement de ses fureurs, tout cela doit être traduit à la clarté du jour et interrogé résolûment. J’ajoute que ces mémoires d’Edelmann sont très instructifs sur bien des points et provoquent des réflexions consolantes. Edelmann, tel qu’il se montre à nous dans le récit de sa vie, est un cœur naturellement pieux, qui, ne trouvant pas dans les écoles théologiques du temps la satisfaction de ses instincts à la fois mystiques et raisonneurs, rompit peu à peu avec l’église, et, de doute en doute, de négation en négation, aboutit à l’athéisme. Dans les révoltes de son esprit, il est facile de voir, et ses confidences même nous y aident, les impatiences de l’amour mal dirigé. Le mysticisme, cette exaltation folle de la partie spirituelle de notre être, a mené bien souvent à des erreurs absolument contraires, à la négation de l’esprit et de Dieu ; une fois que la raison a quitté sa droite route, est-il un abîme où elle ne puisse tomber ? M. Strauss lui-même nous a appris, dans sa Visite à Justinus Kerner, qu’il avait débuté par le mysticisme ; M. Bruno Bauer suivait aussi une direction semblable. Seulement, lorsque la pensée d’Edelmann accomplissait ses tristes évolutions, l’isolement où il se trouvait renfermé devait l’enfoncer davantage dans son système ; d’ailleurs, la conscience publique était calme, la société n’était pas menacée de mort ; Edelmann ne voyait pas, comme les jeunes hégéliens, ses théories traduites en maximes sauvages et la matière enragée s’autorisant de ses paroles pour satisfaire ses appétits ignobles. Qui sait ce qu’un tel spectacle lui eût appris ? Déjà M. Strauss est effrayé des étranges collaborateurs que les révolutions ont donnés à son école, il rectifie ses premiers ouvrages, il paraît se rattacher à la morale du Christ, et rompt par là de la manière la plus nette avec la démagogie hégélienne. Edelmann eût fait de même et peut-être plus encore. Il lui a manqué les terribles avertissemens que la Providence n’a pas épargnés à notre siècle. Que l’Allemagne y songe et rentre en elle-même ; elle n’est pas faite pour de telles saturnales ; son mystique génie, détourné de sa route, est allé se perdre dans ces abîmes : souhaitons-lui de comprendre le sens des révolutions, souhaitons-lui de s’arracher par la pratique des affaires au délire des systèmes menteurs et d’en finir pour toujours avec l’affreux athéisme qui la déshonore.