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III

Ainsi, malgré ce retour aux travaux littéraires, beaucoup d’écrivains encore, on le voit trop, ne savent pas échapper aux influences qui gênent leur liberté. Le drame a-t-il été sur ce point plus heureux que le roman ? A-t-il repris sans entraves la poursuite des problèmes qu’il s’était posés ? Qu’a produit enfin dans ce domaine de l’art l’action des catastrophes récentes ? Si les événemens ont fait d’abord une rude concurrence à la poésie dramatique, il était cependant facile de prévoir qu’elle ne tarderait pas à reparaître. La renaissance du théâtre allemand est une des questions les plus vives qui préoccupent le monde littéraire au-delà du Rhin. Il y a déjà plusieurs années que l’ambition des poètes et des critiques s’est éveillée à ce sujet, et que la plus généreuse ferveur enflamme les esprits. Hommes d’imagination ou de théorie, tous sont d’accord pour déplorer la triste situation de la scène depuis Goethe et Schiller, et tous mettent leurs efforts en commun pour créer ce théâtre national, préparé, disent-ils, plutôt que constitué d’une manière durable par l’auteur d’Egmont et l’auteur de Guillaume Tell.

Les révolutions de 1848, une fois les premiers désordres apaisés, ont imprimé, ce semble, une ardeur plus vive encore aux chefs de cette phalange. Les espérances, du moins, ont pris décidément un caractère grandiose. On ne parlait d’abord que de créer un théâtre national ; désormais, il est de plus en plus question de créer le drame d’une époque. Les théories ne font jamais faute en Allemagne ; en voici une toute récente du poète Dingelstedt : « Les Grecs, dit-il, ont donné au drame la forme classique, merveilleusement appropriée à la simplicité grave du génie des anciens ; les Espagnols et les Anglais ont inventé la forme romantique, image de la vive et ardente époque qui a suivi Luther. Une nouvelle époque s’est levée avec 89 ; une nouvelle forme dramatique doit surgir ; la démocratie aura son drame comme la révolution religieuse a eu le sien. Or, ajoute M. Dingelstedt, puisque les théâtres anglais, français et espagnol se taisent, ce drame n’est-il pas réservé à l’Allemagne ? » On reconnaît là les incorrigibles prétentions du teutonisme. Si l’on voulait s’amuser à de telles conjectures, la race romane, si dédaignée de nos voisins, aurait quelque droit de répondre : « Cette époque nouvelle, c’est la France, pour son tourment et pour sa gloire, qui l’a introduite dans le monde ; cette démocratie de 89 que le XIXe siècle doit contenir et diriger vers le bien, elle est notre œuvre, et elle nous coûte assez de sang et de ruines pour que des génies heureux viennent la moraliser par la poésie et en tirer un art nouveau. » Laissons de côté ces conjectures ; je ne crois pas plus à celles-là qu’à