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paix dans des régions sereines où les bruits de la terre n’arrivaient.pas ; la littérature nouvelle a réagi contre cette indifférence superbe, et des milliers de voix lui ont prêché le mépris de l’idéal pour l’enchaîner aux révolutions. Cette soumission servile aux clameurs de la rue ne vaut pas mieux que le quiétisme d’autrefois. Il existe une route large et sûre, également éloignée de ces deux abîmes : c’est celle où l’on s’avance librement au milieu de son siècle sans perdre de vue les régions supérieures. N’allez plus, dirai-je aux écrivains allemands, n’allez plus vous perdre dans le mysticisme ; apprenez à marcher sur la terre, réclamez votre part des émotions de la patrie, mais veillez sur vous, et, pour vous dédommager de votre apathie passée, gardez-vous de croire aux perfides promesses de l’esprit du mal. Nous connaissons trop bien désormais l’hypocrisie révolutionnaire. La démagogie promet l’organisation du travail, et elle ne sait que favoriser la fainéantise, encourager le désordre, substituer le brigandage aux patientes vertus qui fondent la prospérité des peuples. La démagogie parle de régénération, et elle n’a de force que pour exaspérer la mauvaise partie de notre être, pour déchaîner en nous la bête féroce. La démagogie proclame dans son patois la sainteté de l’idée, et elle n’est que la ruine de la culture intellectuelle, elle est la mort de la philosophie, de la poésie, des arts, de tout ce qui charme et purifie l’ame de l’homme. Opposons à ces mensonges le travail sincère, le développement du bien, le spectacle d’une société qui vit et qui porte librement tous ses fruits. Que chacun, dans sa sphère, accomplisse sa tâche. Dans un temps comme le nôtre, il n’y a pas de petite tâche ; se contenter de son rôle et s’y dévouer, c’est concourir plus qu’on ne pense au rétablissement de l’ordre général, au salut de tous. Un des plus tristes symptômes de la dissolution des sociétés, n’est-ce pas le déplacement de toutes les intelligences ? L’anarchie morale du XIXe siècle a contribué à ce déplacement dans des proportions effrayantes ; si nous voulons mettre fin à l’anarchie, commençons par nous réformer nous-mêmes. Au lieu de cette ambition malsaine qui pousse tout le monde hors de sa route, quand verrons-nous se propager le désir d’honorer chacun notre lot, si humble qu’il puisse être, par la constance et le sentiment du devoir ? Voilà les vraies vertus républicaines ; c’est pour cela sans doute que les prédicateurs de la démocratie n’en parlent guère. L’Allemagne a donné un bon exemple. Ses hommes d’état improvisés ont renoncé résolûment à leurs prétentions ; l’historien est revenu à ses patientes recherches, le philosophe a renoué le fil de ses méditations solitaires. Si leur rôle en est moins bruyant, tant mieux pour la politique et les lettres. C’est un penseur célèbre de la fin du XVIIIe siècle qui répétait souvent ces sages et profondes paroles : « Le bruit ne fait pas de bien, le bien ne fait pas de bruit. »