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En félicitant un peuple qui s’empresse de rendre hommage aux travaux de la paix, nous ne voudrions pas, à Dieu ne plaise ! décourager les fermes esprits, les citoyens vraiment dignes de ce nom, qu’une préparation sérieuse appelle aux combats de la politique. On ne veut pas davantage conseiller à l’Allemagne ce spiritualisme dédaigneux qui s’est montré naguère si insensible à toutes les souffrances de la patrie. Entre l’indifférence coupable, si justement reprochée aux poètes romantiques, et ces sympathies passionnées, irréfléchies, qui introduisent la politique partout, il y a une mesure, celle que la vérité et le patriotisme indiquent. Avant les révolutions de mars 1848, tant que les peuples allemands réclamaient en vain une tribune libre, tant que la vie parlementaire n’était pas sincèrement organisée, les préoccupations publiques, ne trouvant pas à se produire sous une forme légale, faisaient irruption de mille côtés. Quand un peuple est mûr pour la conduite de ses destinées, ses impatiens désirs se font jour par toutes les issues ; cette fermentation sourde éclate partout où elle peut, dans le système du philosophe, dans la chaire du professeur, dans les inspirations du poète. De là cette littérature inquiète, fébrile, révolutionnaire, dont nous avons maintes fois signalé le péril. Aujourd’hui de tels envahissemens n’auraient plus d’excuse ; la littérature politique se développera régulièrement, elle ne nuira plus aux efforts désintéressés de l’intelligence, elle ne troublera plus les écrivains dans la poursuite du vrai et du beau. Les tribunes, si long-temps réclamées, sont ouvertes enfin aux aptitudes spéciales ; les lettres doivent être affranchies du joug de la politique par le même progrès qui a émancipé les peuples. Les lettres ! qui voudrait encore les renier ? Leur tâche n’est-elle pas assez belle, leur domaine assez grand, pour que les plus nobles esprits s’y enferment avec joie ? C’est à elles d’élever les ames vers les régions supérieures et de faire par la beauté morale l’éducation de la démocratie.


SAINT-RENE TAILLANDIER.