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et qui peut nier que les influences internationales tendent de plus en plus à se mesurer sur ce terrain ?

La première condition de reconstitution matérielle pour un peuple, c’est, je l’avoue, d’exister moralement ; mais qu’on ne se méprenne pas sur l’apparent effacement de la nationalité portugaise. L’immobilité même qu’on lui reproche, son obstination à se retrancher dans les mœurs et les habitudes du XVIe siècle contre les envahissemens d’une civilisation qui ne s’est guère révélée à elle jusqu’ici que par l’intermédiaire de l’invasion ou du protectorat étranger, tout cela ne serait-il pas plutôt l’indice d’une individualité persistante et vivace, qui n’attend pour se mouvoir que l’heure où elle pourra se mouvoir librement et dans son propre milieu ? Politiquement, le Portugal n’offre pas moins de ressources à l’esprit d’organisation. Les menées anarchiques auxquelles ce pays est depuis si long-temps en proie n’y émanent guère, comme nous le verrons plus loin, que des hautes régions de la société, et l’action révolutionnaire ne saurait être ni bien efficace ni bien durable aux mains d’une classe dont les intérêts collectifs sont essentiellement conservateurs. Quant aux masses, qui partout ailleurs sont la grande difficulté du gouvernement, elles offrent ici à l’action gouvernementale un point d’appui naturel. Si la classe infime des villes est dégradée et inerte, les paysans portugais restent encore la race à la fois la plus énergique et la plus disciplinable de la Péninsule. Si la classe moyenne manque d’initiative, elle est en revanche docile à toute bonne impulsion, et, à défaut de cet esprit public qui ne s’improvise pas et qu’elle n’a guère eu le temps ou l’occasion d’apprendre, elle possède au plus haut degré ce qui en est, après tout, l’expression suprême : le respect de la hiérarchie et une résignation tenace qui ont traversé sans faiblir toutes les misères, toutes les luttes, toutes les provocations. C’est de l’apathie, a-t-on dit souvent : — pourquoi ne serait-ce pas de la force ? On voudrait trouver sans doute dans tout cet ensemble de l’opinion une volonté plus efficace pour le bien et un peu plus de spontanéité dans la résistance au mal ; mais c’est déjà beaucoup, car, pour vivifier et pour diriger ces qualités négatives, il suffit d’un homme d’état habile, honnête et résolu. Cet homme a surgi c’est le chef actuel du parti chartiste, Antonio Bernardo da Costa Cabras, aujourd’hui comte de Thomar et président du conseil. M. da Costa Cabral n’est pas au début de sa tâche. L’oeuvre de régénération politique et matérielle qu’il a osé entreprendre, et qu’il poursuit avec un infatigable esprit de suite à travers les obstacles les plus décourageans et les plus imprévus, date déjà de 1842, c’est-à-dire de l’époque où, ministre de la justice dans le cabinet Aguiar, il alla, à ses risques et périls et de son propre mouvement, proclamer à Porto la charte de dom Pedro, entraînant par cette vigoureuse initiative le pays tout entier.