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triompher. Si vous regardez bien au fond de leurs réclamations, vous ne trouverez rien que ce qu’ont réclamé toutes les générations précédentes ; elles se traînent à la remorque des autres classes de la société, demandant les mêmes choses, suivant les mêmes impulsions, copiant les mêmes tendances.

Nous ignorons donc ce que veut faire le peuple. Maintenant que peut-il faire ? Rien, à ce qu’il paraît ; car, en même temps qu’il réclame des droits, il demande à être protégé, il réclame à chaque instant la protection du gouvernement. Or, la protection est le contraire du droit, la protection annihile les droits et rive plus fortement au contraire les chaînes du devoir. Qui dit protection sous-entend soumission, obéissance, respect, patronage et clientelle ; qui dit protection dit en même temps que celui qui réclame ainsi le secours d’autrui ne se sent pas capable de se gouverner lui-même. Est-ce là ce que veut le peuple ? Que les honorables théoriciens, soutiens prétendus de la cause du peuple, y réfléchissent. J’ai dit tout à l’heure que les prétentions des classes populaires à l’endroit de la propriété outrepassaient en illégitimité la propriété fondée sur le droit de conquête ; voici maintenant qu’elles copient presque le système féodal, ou plutôt elles font un assemblage bizarre de toutes les données politiques les plus différentes et les plus contradictoires, et mêlent la liberté et la protection. Avec tout cela, où en arrive le peuple ? A avoir une idée fausse du droit moderne et une idée fausse de la protection. Je doute fort qu’on puisse bâtir une société sur deux idées qui se repoussent sans s’attirer, comme un aimant dont les deux fluides seraient négatifs ; mais admettons que cet assemblage hybride réussisse : où serait le progrès ? Une pareille société serait à la fois au-dessous de la société moderne et de la société féodale.

Voilà le but social que s’est proposé la révolution de février : spoliation des propriétaires, destruction de la bourgeoisie. Aujourd’hui ce but s’est caché, il s’est enveloppé d’un voile politique, il s’est fait constitutionnel et s’est couvert des oripeaux arrachés à l’ancien parti libéral tant conspué. La révolution sociale s’est faite opposition constitutionnelle. Ne la croyez pas, et, pour connaître le but final, reportez-vous aux premiers jours de la révolution de février. Résolution sociale, organisation du travail ! criait-on sur toutes les gammes de la passion humaine. « Ne suivez pas votre premier mouvement, c’est toujours le bon, » disait, à ce qu’on prétend, M. de Talleyrand. Reportez-vous aux premiers temps de la révolution de février, dirai-je aux incertains et aux tièdes ; c’était le premier mouvement et par conséquent le vrai. Ces cris étaient spontanés, irréfléchis ; par conséquent, ils traduisaient fidèlement et sans réticence la pensée secrète de la révolution de février.

Depuis deux ans, les ennemis de la bourgeoisie n’ont pas cessé de lui