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dire que le socialisme s’empare des lois divines et en fait des lois humaines, qu’il rétrécit les lois infinies de l’univers pour les réduire à la dimension de notre globe. Tout à l’heure le socialisme confisquait les propriétés particulières : maintenant le voilà qui confisque Dieu, le christianisme, les lois morales de l’univers ; s’il y avait quelque chose au-delà de Dieu et de l’infini, il se l’approprierait encore. Il est impossible que la folie de l’athéisme et de la révolte soit poussée plus loin.

Après y avoir réfléchi long-temps, je n’ai pu comprendre l’établissement de la démocratie dans le sens de la révolution de février et du socialisme qu’en allant jusqu’aux dernières limites de la rêverie la plus effrénée. Comme pour comprendre le sens de cette démocratie j’étais obligé de m’en tenir à la simple notion de l’humanité séparée de la notion de Dieu, je sentais disparaître, sous l’effort de ma pensée, l’idée même du temps. La démocratie dans le sens socialiste ne se comprend que par une métamorphose de l’humanité ; elle suppose l’humanité arrivée à la perfection absolue, maîtresse de l’univers et prenant subitement possession de l’éternité ; elle suppose une sorte de fin du monde et en outre une révolution dans l’ordre spirituel. Il faudrait, pour que le triomphe du socialisme s’opérât, que l’homme arrivât à avoir en lui les qualités infinies de Dieu, c’est-à-dire qu’il arrivât à la perfection. Avez-vous jamais réfléchi à ce qui adviendrait, si l’humanité était entièrement composée d’hommes vertueux, religieux, justes, possédant la beauté, le génie et la force ? Évidemment elle n’aurait qu’à disparaître, car elle aurait rempli tout l’intervalle qui la sépare de Dieu, et elle frapperait aux portes de l’éternité. Aussi, de même que M. Proudhon était parfaitement judicieux en proclamant l’athéisme, certains hégéliens et panthéistes ont fait preuve de rigoureuse logique, sinon de bon sens, lorsqu’ils ont annoncé que la Jérusalem céleste prophétisée dans l’Apocalypse devrait s’établir en ce monde. Ainsi donc la démocratie moderne n’est pas seulement l’athéisme, c’est-à-dire la négation de Dieu, elle est encore une véritable tentative pour détrôner Dieu et le faire prisonnier, afin que son génie malfaisant ne puisse plus nuire aux hommes. La révolution française n’avait fait que mettre en pratique le régicide, voici que les doctrines de la révolution de février se mettent à prêcher le déicide.

Mais c’est assez parler des honteuses philosophies, des projets coupables, des espérances criminelles de cette révolution. Il n’est pas sain d’habiter long-temps avec de pareilles pensées, même pour les combattre. Sachons-le bien une fois pour toutes, ce ne sont pas des institutions éphémères qu’attaque cette révolution, c’est la civilisation elle-même, c’est le progrès même des siècles, c’est l’esprit des temps modernes. Élevons-nous donc vers des sphères supérieures pour trouver le moyen d’y résister. Au fond, d’ailleurs, peut-être cette révolution