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d’historien, et ne sont d’ailleurs que le lent développement de la victoire de juin.

Je voudrais marquer vivement l’unique caractère des faits qui se sont succédé sous le gouvernement provisoire, et je ne trouve pas d’autres expressions que celles-ci : les faits qui se sont succédé pendant ces quatre mois terribles portent la marque d’un long dépit de la part des révolutionnaires et d’une sourde irritation de la part des masses. La révolution, sentant qu’elle a échoué, s’efforce de revenir à son point de départ et de se donner par l’insurrection une nouvelle origine. Ce sera un fait remarquable dans l’histoire que cette révolution faite contre la bourgeoisie, et qui reste impuissante contre elle, parce que cette bourgeoisie l’a imprudemment aidée et protégée.

Vous figurez-vous, au contraire, ce qui serait arrivé, si la révolution s’était faite sans le concours de la bourgeoisie et malgré l’opposition de la bourgeoisie armée et militante ? Il y a de quoi frémir rien qu’en y songeant. Le résultat eût été le même que celui que le triomphe des journées de juin aurait amené : la société périssait. La révolution de février, qui était faite traîtreusement contre les classes moyennes, grace au secours qu’elles lui ont prêté, n’a pas osé se déclarer franchement dès les premiers jours. Elle voulait être une révolution sociale, elle a été réduite à n’être qu’une révolution politique ; elle voulait tuer et spolier la bourgeoisie, et elle n’a renversé qu’un gouvernement. Je ne suis pas de ceux qui pensent que la révolution de février était inévitable : elle pouvait, je le crois, être évitée ; mais enfin, puisqu’elle s’est faite, il vaut beaucoup mieux qu’elle se soit faite avec le concours et sous la protection de la bourgeoisie. Cette sottise des bourgeois parisiens couvrant les ténébreuses menées du radicalisme des cris de vive la réforme ! les a sauvés. Le bourgeois marchant bras dessus bras dessous avec le communisme a ainsi rendu illégales toutes ses attaques. Lorsque le communisme, qui l’embrassait tout à l’heure avec tant d’amour, l’a pris au collet avec cette même main qu’il lui tendait avec tant d’affection et s’est retourné en lui demandant brusquement la bourse ou la vie, le bourgeois a pu crier au voleur et se délivrer de lui par les moyens ordinaires et légaux. Que serait-il arrivé, si, au lieu de cette attaque quasi-nocturne, nous eussions eu une invasion et une conquête ? Que d’efforts surhumains il aurait fallu faire pour nous arracher de leurs mains ! La vie de plus d’un aurait été sacrifiée à cette œuvre, car il ne restait plus alors à la société que le droit de légitime défense.

Heureusement il y a des triomphes que Dieu semble n’accorder momentanément à certaines causes que pour mieux les perdre. Le triomphe, c’est là le vœu de tout homme, et pourtant c’est la pierre de touche inexorable et infaillible de tous les systèmes, de tous les partis