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qu’il se maintînt stable, il exigeait presque que les gouvernés ne commissent aucune faute. Il aurait fallu que tous les bourgeois fussent de Machiavel ou des Richelieu au petit pied. Est-il besoin de dire que l’intelligence politique des classes moyennes en France était loin de répondre à de si hautes exigences ? Faut-il ajouter aussi que leur aveuglement politique n’a pas seul amené la révolution de février, et qu’une des principales causes de cette catastrophe a été leur ingratitude ? Le roi Louis-Philippe est le dernier, mais il n’est pas le seul exemple des mécomptes que les classes moyennes préparent trop souvent à leurs plus zélés défenseurs. Napoléon, hélas ! avait dû tomber avant lui, devant une désertion encore plus tragique ; mais, dans cette occasion, la grandeur de la chute imprime aux événemens un caractère grandiose qui ressemble à l’expiation des fautes commises et de l’ambition, tandis que l’abandon de Louis-Philippe est un des événemens les purs déplorables au point de vue moral que l’histoire ait eus encore à enregistrer. En se retirant devant la démagogie, il pouvait dire aux révolutions ce que le vieux roi Lear disait à la tempête : Soufflez, orages révolutionnaires, vous ne me devez rien, vous ; je ne vous ai pas donné le pouvoir ; j’ai, au contraire, combattu et abattu vos fureurs, j’ai bravé vos foudres !

L’effet de cette ingratitude dut être d’autant plus cruel, que la bourgeoisie n’avait jamais demandé autre chose à Louis-Philippe que de protéger ses intérêts, et, selon nous, Louis-Philippe avait trop facilement accédé à cette demande. Au lieu de s’appuyer sur les tendances morales des classes moyennes, il avait travaillé à se créer des défenseurs dans tous les intérêts et dans tous les besoins de ces classes. Mauvais calcul en vérité. Les intérêts ne sont pas un moyen de préservation politique, tout au plus peuvent-ils à certains momens aplanir quelques difficultés, ils ne peuvent servir que d’expédiens politiques. Fonder un gouvernement sur les intérêts, autant vaudrait dire qu’on le fonde sur les exigences individuelles. Oui, Louis-Philippe est tombé parce que les classes moyennes lui avaient trop demandé et qu’il leur avait trop cédé, parce qu’elles avaient trop exigé de lui et qu’il n’avait pas assez exigé d’elles. Les classes moyennes, sous Louis-Philippe, avaient trop d’intérêts individuels, pas assez d’esprit de corps. Or, sans esprit de corps, sans sacrifice des vanités personnelles, il n’y a pas de gouvernement qui puisse se soutenir. Le 24 février en est la preuve. Pour s’appuyer sur les intérêts d’une classe quelconque, il faudrait qu’un gouvernement se chargeât de faire les affaires de chacun des individus appartenant à cette classe, il faudrait qu’il les prît tous par la main les uns après les autres pour s’assurer de leur concours. C’est pour avoir trop oublié que l’opinion, les tendances morales, et non les intérêts particuliers, sont l’ame des différentes classes de la société, que le dernier gouvernement a succombé. Un pays où