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Blanc. M. Louis Blanc est l’ennemi déclaré de la société moderne et de la bourgeoisie. Nous ne savons véritablement quel mal la société a fait à M. Louis Blanc pour lui inspirer cette haine acharnée et cette persistance dans l’animosité. Il est impossible que les malheurs de la vie, aussi grands qu’ils soient, changent l’ame à ce point ; il faut donc qu’il soit né avec cette ame sans tressaillement et ces entrailles sans pitié, Nous pourrions définir en deux mots l’ame de M. Louis Blanc : il y a en elle absence de sympathie et vanité théâtrale. Nous ne savons s’il s’aime lui-même ; mais véritablement nous en doutons. Ce n’est pas l’habileté qui lui manque : c’est une qualité autrement précieuse, l’élévation. Son intelligence bornée et sans horizons ne voit jamais que le côté vulnérable des questions, les plaies inévitables, irrémédiables et qu’on ne montre pas. Jamais avant lui aucun radical n’avait marché aussi directement à son but et en usant de moyens aussi perfides. Il sait l’art de soulever le peuple en lui montrant les spectacles auxquels ses yeux étaient accoutumés, les maux qui ne seront jamais guéris., Veut-il attaquer la moralité de la société par exemple ? Il va prendre la prostitution, et dans ce fait douloureux, vieux comme le monde, il trouve matière à déclamations sans fin contre l’ordre actuel des choses. Les maux qu’enfante la libre concurrence, personne ne les a exprimés en termes aussi amers. Sa parole est fiévreuse comme l’appel à l’insurrection. Dans tout ce qu’il a écrit contre la bourgeoisie, il n’y a pas une phrase qu’il n’ait calculée, un mot qu’il n’ait retourné cent fois afin d’être certain qu’il était assez trempé dans l’acide, pas une intention qui ne soit perfide. M. Louis Blanc, pour résumer en quelques mots ce que nous avons à dire sur son caractère et son intelligence, n’a qu’un talent déclamatoire et faux, mais singulièrement relevé par une habileté peu commune et par des passions qui ne s’éteindront jamais en lui.

Le rôle de M. Louis Blanc comme réformateur, on en a, hélas ! trop parlé ; mais son rôle politique n’a jamais été aperçu par personne, et pourtant je regarde ce rôle politique comme une des causes de la révolution de février. Avant l’apparition de M. Louis Blanc, qu’était-ce que le socialisme ? Il n’avait aucun caractère politique, il était exclusivement philosophique, il manquait de traditions historiques, en un mot il n’était pas un parti. M. Considérant allait de ville en ville, faisant des cours de phanérogamie et d’harmonie passionnelle, M. Enfantin et l’école saint-simonienne s’étaient contentés de prêcher une société construite à priori dans leur cerveau ; mais aucun d’entre eux ne songeait à la république, qu’ils regardaient comme le pire de tous les maux. Ils acceptaient jusqu’à un certain point la société actuelle, et voyaient dans la bourgeoisie, dans l’industrie, les moyens qui devaient inévitablement conduire à la réalisation de leurs théories. Ils n’acceptaient