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Qui eût pu prévoir que ce scrupuleux propriétaire deviendrait l’un des plus fervens communistes dont les doctrines aient enflammé l’époque révolutionnaire ? Toutefois ses prétentions avaient trouvé des jaloux parmi les petits pâtres de Saci, car le secret fut dévoilé, le sacrifice fut traité d’abominable profanation des choses saintes, et l’abbé Thomas, frère du premier lit de Nicolas, qui demeurait à quelques lieues de Saci, se rendit exprès à Labretone pour donner le fouet au jeune hérétique ; le frère du jeune pâtre motiva le fait de cette correction sur ce qu’ayant été son parrain, il répondait indirectement de ses péchés. Le pauvre abbé ne se doutait pas qu’il s’était engagé bien imprudemment envers le ciel..

Nicolas avait deux frères du premier lit qu’on voyait peu dans la famille ; l’aîné était curé de Courgis ; le plus jeune, que nous venons d’entrevoir, l’abbé Thomas, était précepteur chez les jansénistes de Bicètre, et venait voir sa famille pendant les vacances. Lorsqu’il repartit cette année-là, on lui confia son jeune frère, auquel il convenait d’inspirer enfin des idées sérieuses. Tous deux s’embarquèrent à Auxerre par le coche d’eau. L’abbé Thomas était un grand garçon maigre, ayant le visage allongé, le teint bilieux, la peau luisante tachée de rousseurs, le nez aquilin, les sourcils noirs et fournis comme tous les Restif. Il était concentré et très vigoureux sans le paraître, d’un tempérament emporté et plein de passion, qu’il était parvenu à mâter par une volonté de fer et une lutte obstinée. À peine eut-il placé Nicolas parmi les autres enfans de Bicêtre, qu’il ne s’occupa plus de lui que comme d’un étranger. Quand ce dernier se vit seul au milieu de tous ces petits curés, comme il le disait, perdu dans les longs corridors voûtés de cette prison monastique, il fut pris du mal du pays. La monotonie des exercices religieux n’était pas de nature à le distraire, et les livres de la bibliothèque, les Provinciales de Pascal, les Essais de Nicole, la Vie et les Miracles du diacre Pâris, la Vie de M. Tissard, et autres œuvres jansénistes, ne lui plaisaient pas autrement. L’écrivain toutefois se rappela plus tard avec attendrissement les leçons des jansénistes. Selon lui, Pascal, Racine et les autres port-royalistes devaient à l’éducation janséniste une sagacité, une exactitude de raisonnement, une justesse, une profondeur de détails, une pureté de diction qui ont d’autant plus étonné, que les jésuites n’avaient produit que des Annat, des Caussin, etc. C’est que les jansénistes, sérieux, réfléchis, font penser plus fortement, plus tôt et plus efficacement que les molinistes ; ils donnent du ressort par la contrariété à toutes les passions ; ils créent des logiciens qui deviennent des dévots parfaits ou des philosophes résolus. Le moliniste est plus aimable, il ne croit pas que l’homme soit obligé d’avoir toujours son Dieu devant les yeux pour trembler à chaque action, à chaque acte de volonté ; mais,