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triomphans : « il faut bien qu’un jeune homme s’amuse un peu, vous me l’avez dit… On en fait un meilleur mari plus tard… Voyez M. Parangon ! » Et la pauvre femme le quitte sans répondre, et s’en va fondre en pleurs chez elle. Hélas ! il a parfois la voix avinée, le geste hardi, les attitudes de mauvais goût des beaux danseurs de guinguette. Mme Parangon fait ces remarques avec douleur.

Tout à coup sa conduite change, il était devenu sédentaire de nouveau, mais triste ; une de ses maîtresses éphémères, Madelon Baron, venait de mourir, et, sans qu’il l’aimât profondément, cette catastropha avait répandu un voilé de tristesse sur sa vie. Mme Parangon le plaignait sincèrement et avait pris part à sa douleur, qu’elle croyait sans doute plus forte. Sa méfiance avait cessé. Un dimanche qu’ils se trouvaient seuls dans la maison, Tiennette étant allée faire une commission, Mme Parangon, qui rangeait des écheveaux de fil dans une haute armoire, appelle Nicolas pour lui en passer les paquets. Elle était montée sur une échelle double, et, pendant qu’elle se faisait servir ainsi, un œil de Nicolas s’arrêtait sur une jambe fine, sur un soulier de droguet blanc, dont le talon mince, élevé, donnait encore plus de délicatesse à un pied des plus mignons qu’on pût voir. On sait que Nicolas n’avait jamais su résister à une telle vue. Le charme redoubla lorsque, Mme Parangon ayant de la peine à descendre avec ses pieds engourdis, il se vit autorisé à la prendre dans ses bras, et fut obligé de la déposer sur le tas de lin qui restait à terre. Comment dire ce qui se passa dans cet instant, fugitif comme un rêve ? L’amour long-temps contenu, la pudeur vaincue par la surprise, tout conspira contre la pauvre femme, si bonne, si généreuse, qui tomba presque aussitôt dans un évanouissement profond comme la mort. Nicolas, bientôt effrayé, n’eut que la force de la porter dans sa chambre. Tiennette rentrait, il lui dit que sa maîtresse s’était trouvée mal et l’avait appelée. Il peignit son embarras et son désespoir, puis s’enfuit quand elle sembla revenir à la vie, n’osant supporter son premier regard…

Tout s’est donc accompli. La pauvre femme, qui peut-être avait aimé en silence, mais que le devoir retenait toujours, ne se lève pas le lendemain matin. Tiennette vient seulement dire à. Nicolas qu’elle est malade et que le déjeuner est préparé pour lui seul. Tant de réserve, tant de bonté, c’est une torture nouvelle pour l’ame qui se sent coupable, Nicolas se jette aux pieds de Tiennette étonnée, il lui baigne les mains de ses larmes. – Oh ! laisse-moi ; laisse-moi la voir, lui demander pardon à genoux ! que je puisse lui dire combien j’ai regret de mon crime…

Mais Tiennette ne comprenait pas.

— De quel crime parlez-vous, monsieur Nicolas ? Madone est indisposée ; seriez-vous malade aussi ? .. Vous avez la fièvre certainement.