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amis, et ses pensées amères lui revenaient en foule, lorsqu’en passant dans la rue Saint-Simon, près de l’hôpital, il entendit de grands éclats de rire. . C’étaient trois jeunes filles qui se moquaient d’une de leurs compagnes qu’elles avaient surprise se laissant embrasser par un pressier de l’imprimerie Parangon, nommé Tourangeau, gros homme fort laid, fort grossier d’ordinaire et un peu ivre ce soir-là. La pauvre jeune fille surprise ainsi s’était évanouie. Le pressier, furieux, s’élança vers les belles rieuses et frappa l’une d’elles fort brutalement. Des jeunes gens étaient accourus au bruit et voulaient assommer Tourangeau. Ni colas s’élança le premier vers son camarade d’imprimerie, et, le prenant par le bras, lui dit : « Tu viens de commettre une vilaine action. Sans moi, l’on te mettrait en morceaux ; mais il faut une réparation. Battons-nous sur l’heure à l’épée. Tu as été dans les troupes, tu dois avoir du cœur. — Je veux bien, » dit Tourangeau. On essaya en vain de les séparer. Un des jeunes gens alla chercher deux épées, et à la lueur d’un réverbère le duel commença dans toutes les règles. Nicolas savait à peine tenir son épée, mais aussi Tourangeau n’était pas très solide sur ses jambes ce soir-là. Le pressier reçut un coup d’épée porté au hasard sans règle ni mesure, et tomba le cou traversé d’une blessure qui rendait beaucoup de sang. L’atteinte n’était pas mortelle. Cependant Nicolas fut obligé de se soustraire aux recherches de l’autorité. Il ne revit qu’un instant Mme Parangon, dont le mari était revenu, et qui comprit ce qu’il y avait eu de désespoir et de secrète amertume dans l’action du jeune homme. Du reste, ce duel lui avait fait le plus grand honneur dans Auxerre, où il était désormais regardé comme le défenseur des belles. Cette renommée le poursuivit jusque dans sa famille, ou il retourna pour quelque temps.


IX. – EPILOGUE DE LA JEUNESSE DE NICOLAS.

C’est à la suite de ces événemens que Nicolas, après avoir passé quelques jours près de ses parens, à Saci, vint à Paris exercer l’état de compositeur d’imprimerie, dont il avait fait l’apprentissage à Auxerre. Nous avons vu déjà combien tout objet nouveau exerçait d’influence sur cette ame ardente, toujours en proie aux passions violentes, et, comme il le disait lui-même, plus chargée d’électricité que toute autre. Ce fut quelque temps avant sa liaison éphémère avec Mlle Guéant qu’il reçut tout à coup l’avis de la mort de Mme Parangon. La pauvre femme n’avait survécu que peu de mois aux scènes douloureuses que nous avons racontées. La vie insoucieuse et frivole que Nicolas menait à Paris ne lui avait pas été cachée, et jeta sans doute bien de l’amertume sur ses derniers instans. Nicolas, né avec tous les instincts du bien, mais toujours entraîné au mal par le défaut de principes solides, écrivait