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par les cris impatiens de ces impudens mendians qui venaient demander à la générosité du maréchal ce tribut quotidien. Quand je voulais les chasser, il riait de mon indignation. Quoiqu’il fût obligé de prendre les mesures les plus énergiques, bien souvent il fermait par pitié les yeux là où il aurait été obligé de punir, et pourtant il n’était pas aimé des Italiens de la ville ; les femmes surtout témoignaient avec affectation que toutes leurs sympathies étaient aux Piémontais ; lorsqu’ils furent défaits à Santa-Lucia, elles se vêtirent de deuil. L’une d’elles, Mme Palm… ce qui m’étonna d’une personne aussi distinguée, portait pendu à son cou un portrait de Pio nono aussi grand que la main, et des bouffettes de rubans tricolores partout où elle en pouvait mettre ; elle se tenait continuellement à sa fenêtre, épiant tous nos mouvemens et à l’affût de toutes les mauvaises nouvelles. D’autres femmes renchérissaient encore sur les démonstrations de Mme Palm… La comtesse Gr… armée d’un poignard, descendait de son balcon, crachait sur l’uniforme d’un officier de mon régiment que l’on conduisait prisonnier par les rues de Milan, et le traitait de chien d’Allemand et de valet de bourreau. Une jeune personne, dans un grand dîner chez le comte B…, refusait d’un plat dont on lui offrait : « Non, merci, disait-elle en minaudant, je n’ai plus faim ; cependant, si c’était le cœur d’un Croate, je le mangerais tout entier. » En Autriche aussi, les femmes suivaient nos opérations avec sollicitude : elles souhaitaient ardemment le triomphe de nos armes ; elles nous encourageaient, mais elles savaient manifester leur sympathie plus simplement et plus dignement. Qui de nous n’avait pas une mère ou une sœur, une femme qui, agenouillée dans le coin obscur de quelque église, priait le ciel avec ferveur à la pensée de nos dangers ? De toutes les parties de l’empire, des masses de linge et de charpie arrivaient sans cesse à Vérone, et plus d’une pauvre fille, obligée de vivre du travail de ses mains, prenait sur les heures de la nuit pour ajouter à ces dons généreux le denier de la veuve.

Grace aux soins et à l’infatigable activité du comte Pachta, intendant-général de l’armée, les vivres ne manquaient pas, quoique toute l’armée fût depuis plus d’un mois réunie à Vérone, et malgré notre éloignement du centre de l’empire. La route du Tyrol, la seule voie par laquelle les transports pouvaient nous arriver, était souvent encombrée par des files de voitures qui amenaient des provisions et des fourrages, et par les troupeaux qui venaient de la Moravie et même de la Bohême. Nous vivions dans l’abondance ; mais notre position devenait chaque jour plus critique, et il fallait vraiment beaucoup de force d’ame ou d’insouciance pour ne pas être inquiet de l’issue de la guerre. Les généraux Ferraris, Durando et La Marmora occupaient la Vénétie avec vingt mille hommes de troupes romaines, suisses et vénitiennes ;