Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/671

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il faisait couler du jus de citron dans sa blessure, afin, me dit-il, d’empêcher la gangrène de s’y mettre. Je vis aussi un artilleur à qui un boulet de canon avait arraché tout le devant de son habit d’une épaule à l’autre : il n’avait qu’une légère contusion ; mais la violence de la secousse l’avait jeté par terre, et il s’était brisé plusieurs dents. J’arrivai à Longara à neuf heures et demie ; le maréchal allait envoyer un courrier à l’empereur pour lui annoncer la nouvelle de la prise de Vicence. La joie rayonnait sur tous les visages, partout on s’embrassait, tous les regards se tournaient avec admiration vers le maréchal et le général Hess, qui se tenait à l’écart et donnait quelques ordres à voix basse. J’appris alors que Durando, désespérant de pouvoir défendre la ville et voulant lui épargner les horreurs qui suivent une prise d’assaut, avait capitulé dans la nuit.

Les soldats buvaient, mangeaient et faisaient bombance avec les provisions des habitans ; ils disaient en riant et d’un air goguenard à ces hôtes maussades qui semblaient vouloir réclamer quelque paiement : Pagara Pio nono ! Il est certain que le saint père a payé tout cela fort cher. Beaucoup des nôtres avaient péri à ce combat. Le général prince Taxis était tué, le colonel Koppal du 10e chasseurs mortellement blessé ; son bataillon n’avait presque plus d’officiers dans les rangs ; le jeune et brillant colonel Kavanagh était mort. « Allons ! avait-il dit en riant aux officiers qui l’entouraient lorsque les premiers coups de canon retentirent, il faut que je fasse en sorte aujourd’hui que ma femme lise mon nom dans le bulletin de la bataille. » - Et, comme il s’élançait le premier sur une barricade, il tomba déchiré par la mitraille. — Le lieutenant Jéna, de mon ancien régiment, avait le corps traversé par une balle ; par un singulier hasard, ou peut-être par l’effet d’une sympathique prévoyance, le lendemain du combat, un courrier venant de Vienne lui apporta une boîte de charpie que sa fiancée lui envoyait. — J’allai voir le colonel Reischach ; une balle l’avait frappé au cou, et le chirurgien lui retirait de la cuisse des morceaux de plomb haché ; plusieurs officiers de son régiment étaient aussi blessés. Il n’y avait pas jusqu’au chien du régiment de Prohaska qui ne se fût distingué par sa bravoure. Lorsque les bataillons attaquaient à la baïonnette, il courait en avant et aboyait avec fureur contre l’ennemi. À Santa-Lucia, il avait eu le museau fracassé par une balle, et à l’attaque de Vicence il venait de perdre une patte.

Le maréchal monta à cheval à dix heures, et se rendit avec son état-major sur la terrasse d’une villa près de Vicence, en attendant l’heure de midi fixée pour l’entrée de nos troupes dans la ville. M. de La Tour, commandant des deux régimens suisses qui avaient défendu Vicence, vint le prier, de la part du général Durando, de vouloir bien