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morales. La mesure du droit de chacun, c’est la force ou le besoin. Tout individu a donc droit à toutes choses, pourvu seulement qu’il les désire et qu’il soit capable de s’en emparer. Réhabilitation de la chair, transformation de la terre en paradis, droit au travail, légitimité de la force, règne des masses, toutes les chimères, toutes les brutalités, toutes les séductions du socialisme trouvent naturellement leur place dans une doctrine dont le premier principe est la négation de Dieu, et la dernière conséquence, l’idolâtrie de la personnalité humaine.

La philosophie de l’école positive est donc la philosophie du socialisme. Ce qu’on entrevoit derrière le mysticisme apocalyptique de M. Pierre Leroux et la religiosité fausse et déclamatoire de M. Louis Blanc, ce qui essaie de se déguiser sous le jargon systématiquement obscur du fouriérisme ou à travers le mouvement capricieux des antinomies de M. Proudhon, tout cela devient clair, précis, conséquent dans la doctrine de l’école positive. Ouvrez la dernière publication de M. Comte. En voici l’épigraphe : « Réorganiser, sans Dieu ni roi, par le culte systématique de l’humanité[1]. » Pour prix d’une telle franchise, l’école positiviste mérite bien qu’on s’arrête un instant avec elle, et qu’après avoir rappelé ses origines, on examine ce qu’elle a produit depuis la révolution de février.

M. Auguste Comte appartient à cette génération d’esprits contemporains qui, nourris avec excès dans leur jeunesse d’études mathématiques, sont arrivés, à travers l’algèbre, aux sciences métaphysiques et morales. Dès le début de sa carrière d’écrivain, vers la fin de la restauration, nous le trouvons auprès de Saint-Simon avec M. Olinde Rodrigues. Il fut de ce petit nombre d’amis fidèles qui ne délaissèrent pas dans ses jours d’angoisse l’infortuné rêveur et lui fermèrent pieusement les yeux. Quand les disciples de Saint-Simon s’avisèrent un peu plus tard de transformer leur maître en messie, M. Auguste Comte ne s’associa point à ces écarts. Homme d’étude, il était tout entier à la composition d’un grand ouvrage[2], où, sur les traces de Bacon et de d’Alembert, il soumettait toutes les sciences humaines à une analyse approfondie, les comparait dans leurs principes, leurs objets, leurs méthodes, et les classait enfin dans un ordre nouveau destiné à leur imprimer une impulsion puissante et une fécondité jusqu’alors inconnue. Cette entreprise, malgré les connaissances étendues qui s’y déploient et la grandeur promise de ses résultats, languissait dans un demi jour voisin de l’obscurité, lorsqu’elle rencontra, pour l’animer

  1. Discours sur l’ensemble du positivisme, par Auguste Comte, 1850 ; chez Mathias, quai Malaquais, 15. 1 vol. in-8o.
  2. Cours de Philosophie positive, par Auguste Comte ; 1 vol. in-8o ; chez Bachelier. Cet ouvrage a été apprécié dans la Revue des Deux Mondes, 15 juillet 1846.