Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/705

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quartiers, se former des fondrières où des hommes et jusqu’à des mulets ont disparu, sans qu’il fût possible de leur porter aucun secours. Il faut ajouter, pour rester fidèle à la vérité, que, dans cette population brûlée par l’amour de l’or, personne n’y pensait beaucoup. L’aspect de ces fondrières est repoussant : toutes remplies d’une eau noire et croupissante, couvertes de débris de toute espèce d’immondices, d’os à demi rongés, de linges troués et puans, elles exhalent une odeur pestilentielle. Ces fondrières se retrouvent partout, même dans le centre et le bas de la ville, qui sont presque entièrement et le mieux bâtis. Quant au climat, c’est peut-être le plus capricieux qui soit au monde. Le matin, de neuf heures à midi, la chaleur est accablante ; de midi à sept heures, un vent intolérable s’élève, et fait tourbillonner la poussière à flots ; les brouillards montent avec le soir, répandant partout l’humidité, et un froid intense s’empare de la ville avec la nuit. C’est tour à tour, et dans la même journée, le climat d’Alger, d’Avignon, de Londres et de Stockholm.

Un ordre parfait régnait dans la ville, et malgré le mélange des races et l’agglomération des émigrans ; on n’avait à redouter ni le vol ni l’assassinat. Des masses énormes de marchandises étaient entassées sur le rivage sans que personne, parmi cette foule d’aventuriers, songeât à rien détourner des richesses exposées en plein vent. Était-ce probité ? Je ne le crois pas. La justice est promptement rendue dans la capitale de la Californie, et la population sédentaire, nombreuse et aguerrie, paraît très résolue à faire respecter la propriété et à maintenir une sécurité qui, seule peut assurer la prospérité générale de San-Francisco. Un grand nombre d’aventuriers d’ailleurs touche à peine le rivage, et court aux placers chercher cet or qui est ici le mobile unique de toutes les pensées et de toutes les actions. Les plus audacieux partis, ceux qui restent ne tardent pas à trouver des occupations lucratives, ou qui tout au moins leur permettent de vivre en attendant de meilleures occasions.

Il est fort difficile, avec la meilleure volonté et la plus entière bonne foi de dire complètement la vérité sur San-Francisco. Tout change, tout est bouleversé en moins de quinze jours ; les mouvemens de baisse et de hausse atteignent des proportions effrayantes un jour, on paie l’eau-de-vie 30 piastres la bouteille ; la semaine suivante, elle tombe à 20 francs. Le frère d’un artiste de l’Opéra, M. Barroilhet, favorisé par le hasard, a gagné du soir au matin 250,000 francs sur une cargaison de planches. Il y avait, au moment de son arrivée, disette de bois ; un mois après, ces mêmes planches étaient à vil prix. Tout saisi, tout frappe, tout étonne ici. À côté de fortunes qui rappellent les contes des Mille et une Nuits,. il y a d’horribles misères ; auprès de