Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/711

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les a tous contre lui. Leur haine, qui s’adresse à tous les étrangers, s’exerce surtout contre les Mexicains, qu’ils traitent en race conquise. Quelle conquête, bon Dieu ! que celle du Nouveau-Mexique, et qu’elle serait curieuse à raconter !

La population des camps américains se compose de mineurs et de joueurs de profession ; ceux-ci, et ils sont encore assez nombreux, ne travaillent jamais et jouent toujours. Ils n’ont pas d’autre industrie, et ils l’exercent impudemment envers et contre tous. Quant aux mineurs, ils jouent aussi, mais le jour du repos seulement. Le soleil du dimanche luit à peine, que déjà les cris et les disputes retentissent ; le bruit des rixes s’y mêle bientôt, et la journée ne s’achève pas sans que l’on n’entende siffler les balles. Quand les joueurs malheureux ne tuent pas, ils rouent de coups les pauvres victimes qui leur tombent sous la main. C’est ainsi qu’ils ont déchiré à coups de talon de botte, dans un café de Sonora, un vieillard, un Français qui passait par là. Le Français est resté sur place sans qu’aucun des spectateurs de cette scène ait osé prendre sa défense. Les vainqueurs sont partis en chantant, et sont allés vider quelques bouteilles d’eau-de-vie un peu plus loin. — Mais la justice ? dira-t-on. — Et que veut-on que la justice fasse au milieu de pareils coquins dont le moindre porte à la ceinture et sur les épaules une panoplie d’armes de toute espèce ? Une scène dont j’ai été le témoin montrera ce qu’est la justice des placers. Il y a au camp de Murphy un alcade et un shérif qui représentent l’autorité, la justice, la loi. Un matin, je suis réveillé en sursaut, un grand bruit m’attire hors de ma tente ; je regarde, et j’aperçois le shérif en train de rosser un Irlandais. Notre shérif est boucher de profession ; l’Irlandais est boulanger. Le shérif était ivre, et le sang coulait déjà, lorsque l’alcade s’est interposé. Le shérif a sauté à la gorge de son supérieur et l’a terrassé, après quoi, laissant dans la poussière le corps meurtri de l’alcade, il s’est élancé ; son fusil à la main, à la poursuite du boulanger qui fuyait au loin. La population américaine regardait cette scène sans y prendre part : il s’agissait d’un Irlandais ; mais si, par hasard, en s’opposant aux actes de brutalité que l’ivresse fait commettre à tout instant aux Américains, on avait l’imprudence de tuer ou même de blesser un des leurs, la justice locale pourrait bien, malgré le cas de légitime défense, vous faire arrêter et pendre à l’arbre le plus voisin.

Ce qui a fait jusqu’à présent la sécurité des Français résidant à Murphy, c’est leur supériorité numérique. Ils sont armés tout aussi bien que les Américains, et on les sait résolus à se faire tuer jusqu’au dernier avant d’abandonner leurs trous à or ; mais aux regards farouches qu’échangent les Américains et les Français, aux propos qui circulent,