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nous le dit, et il faut l’en croire, ce que l’Académie a voulu encourager, ce sont des tendances heureuses, c’est un talent pur où il y a plus de grace que de force, c’est une œuvre assurément supérieure, à tous les points de vue, sous le rapport moral comme sous le rapport littéraire, à bien des tentatives plus ambitieuses qui devaient renouveler le théâtre, et dont les auteurs se couronnaient d’avance eux-mêmes. Dans la fine appréciation de M. Villemain, M. Émile Augier peut trouver plus d’un conseil utile, profitable à son talent. Quant à la Fille d’Eschyle, il faut conclure que l’Académie était un peu embarrassée de n’avoir qu’un prix à décerner et plus d’un concurrent à satisfaire, et ce n’est pas sans peine, assure-t-on, qu’elle en est venue à bout.

Il y a quelques années, si l’on s’en souvient, l’Académie française avait proposé pour sujet du prix d’éloquence reloge de Mme de Sévigné ; cette année, elle avait proposé l’éloge de Mme de Staël. Ce sont les deux seules femmes qui aient mérité jusqu’ici cette insigne distinction d’être louées en plein Institut ; c’est que ce sont celles, on peut le dire, qui ont le plus marqué dans les lettres françaises. Le nom de Mme de Staël devait avoir un particulier attrait aujourd’hui. Sa vie se lie, en quelque sorte, à la tradition des faits et des idées dans notre pays depuis soixante ans ; elle a exercé une profonde et durable influence sur les esprits : femme étrange, pleine de toutes les passions de son sexe, et nourrissant parfois une pensée virile ! L’Allemagne, Corinne, les Considérations sur la Révolution, ont certes laissé plus d’une trace dans les ames contemporaines ; ces œuvres éminentes ont leur place dans notre histoire littéraire. Je n’abuserai, point du droit de revenir sur la brillante fille de Necker, de la suivre dans la variété de ses efforts intellectuels, dans les incidens d’une carrière qui se déroule au plein soleil de 1789 à 1817, dans les orages d’une vie mêlée de tant de passion et de tant d’éclat. Ce travail de reconstruction a été accompli autrefois ici même par M. Sainte-Beuve avec cet art achevé, demi-critique, demi-poétique, qu’il porte dans des études de ce genre. Ce qui me frappe doublement, c’est l’intérêt divers et saisissant qui s’attache toujours à Mme de Staël, soit comme femme, soit comme écrivain, et l’impossibilité, en quelque sorte, d’enfermer une telle existence dans le cadre d’un éloge académique. M. Baudrillart, le nouveau lauréat, a essayé de vaincre cette difficulté. A-t-il pleinement réussi ? Autant qu’on en puisse juger, par les fragmens lus dans la séance de l’Académie, ce sont des pages consciencieuses, écrites avec talent, et contenant plus d’un trait ingénieux plus d’un aperçu remarquable. Je le crois bien pourtant, c’est encore un éloge académique, avec les qualités et les défauts ordinaires de ces sortes de compositions, c’est-à-dire ce qu’il y a de moins propre à faire revivre cette Corinne à la poitrine soulevée par la passion, au cœur plein de feu, à l’esprit plein d’élan et de séductions qu’on entrevoit à l’horizon naissant du siècle. Au milieu de détails exacts et spirituellement agencés parfois du reste, il y a un je ne sais quoi de tout ce mouvement qui échappe à l’auteur : la flamme s’évanouit, la vibration de l’éloquence se perd, le trait profond de la physionomie se voile, la vie se laisse envahir par la métaphysique ; un certain instinct manque, pour tout dire. Vous voyez Coppet, — où tant de grands esprits depuis Schlegel jusqu’à Benjamin Constant, se sont succédé, où Byron lui-même a passé un instant, où Mme de Staël apparaît comme une reine dominant