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à même de l’expliquer par la croissance de l’humanité, qui, chaque jour, apprend à être mécontente de ce qui la satisfaisait la veille ; mais point. À côté des morts qui vieillissent vite, il y en a d’autres qui paraissent doués d’une jeunesse inaltérable ; leurs œuvres ont beau porter pour nous les signes d’un temps qui n’est plus et qui ne reviendra jamais, elles ont beau nous apparaître comme des images qui n’exprimeraient plus tout ce que nous pensons et sentons nous-mêmes : elles conservent un air de vie ; nous y reconnaissons vite quelque chose qui a dû se produire dans une ame humaine.

D’où vient donc cette différence entre les destinées de ces deux classes d’hommes célèbres ? d’où vient que les premiers arrivent si vite à sembler presque ridicules comme une ancienne gravure de mode ? Ne serait-ce parce qu’eux aussi ont été comme des gravures de mode ? parce que leurs œuvres ou leurs pensées, au lieu d’être la définition précise d’une individualité, c’est-à-dire le portrait exact d’un être réel tel que Dieu, a jugé bon de le faire, n’ont été que la traduction d’une non-réalité, d’un type abstrait, d’une mode, c’est-à-dire d’une sorte de moyenne entre les diverses individualités d’une époque, peut-être de quelque chose de moins : d’une formule que des êtres tout différens sont convenus pendant un temps d’accepter comme l’emblème banal de leurs manières de voir toutes différentes ?

La question est importante ; elle touche à bien des problèmes littéraires ; elle est intimement liée d’ailleurs avec la question vitale de notre époque : — Quelle valeur faut-il attacher au suffrage universel ? Oui, quelle valeur ? que signifie l’approbation témoignée par le plus grand nombre ? — Tantôt nous répétons que le propre des prophètes est d’être lapidés, ce qui signifie que le propre de la vérité est de ne point être évidente ; tantôt nous répétons que le propre de la vérité est d’être évidente, ce qui signifie que le propre des prophètes est de ne point être lapidés. Auquel de ces deux axiomes faut-il ajouter foi ? Je crois que cette discordance même devrait nous avertir que nous avons confondu sous une même dénomination des choses fort dissemblables, et qu’il serait urgent de faire une distinction entre les grands hommes qui finissent par rester seuls dans la mémoire des peuples et les hommes grands ou petits que le suffrage général se hâte d’acclamer.

Pour employer une comparaison familière, nous n’avons qu’à ouvrir les yeux, et nous reconnaîtrons autour de nous deux espèces d’êtres ceux qui mettent leur ambition à suivre mieux que tous la mode du jour, à s’habiller plus que tous, à la mode, et ceux qui sont irrésistiblement entraînés à se faire un costume à eux, un costume suivant leurs goûts, leurs habitudes, leur commodité. — Les écrivains et les philosophes, comme tous les autres hommes, pourraient être classés dans ces deux catégories, ces deux nations, dont chacune du reste a