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À douze ans, il traduisait en vers des passages d’Anacréon qui formaient le sujet de ses devoirs. Pendant ses cinq années d’université enfin, non-seulement il rimait des satires, des pétitions, des morceaux de circonstance, il rédigeait encore en vers ses versions, ses narrations, et même ses compositions de philosophie. Tout cela lui attira beaucoup d’éloges, beaucoup d’honneurs académiques. Il grandit littéralement ares l’habitude d’entendre ses maîtres et ses collègues le proclamer facile princeps. Bien plus, d’autres louanges vinrent encore se joindre à celles de ses professeurs. À seize ans, une épître sur l’origine du mal lui valut dans sa ville natale le titre de Pope de Glasgow.

Ce qui me frappe dans ses premiers essais poétiques, c’est leur parfaite convenance : ils sont étrangement bien faits, tout y est déjà presque en équilibre, et, avant d’avoir vu le monde, le poète parle des hommes comme s’il avait acquis une vieille expérience. Je cite ces faits pour ce qu’ils valent ; peut-être comme une preuve de plus que la précocité n’est point le signe des natures originales, bien entendu que je parle de cette précocité qui consiste moins dans le besoin d’apprendre que dans le talent d’exprimer. Les animaux les plus complets sont les plus lents à atteindre leur maturité. Il se pourrait aussi qu’une raison trop printanière fût simplement le signe de ces esprits habiles et expansifs qui, au lieu d’être tourmentés par leurs sensations, amassent vite des manières de voir, et chez qui il y a plutôt tendance à combiner des idées qu’à s’en former. Chez Campbell, tout me semble confirmer ce point de vue. Dans sa jeunesse, je ne découvre rien de saillant, rien d’immodéré et d’irrésistible ; nulle exaltation religieuse, nulle de ces mélancolies ou de ces sauvageries qui entraînent parfois la jeunesse vers les ombres et les solitudes. Il aime la nature avec calme ; il ne s’enivre ni de sensualité ni de vin. Il a bien quelques amours, mais je les soupçonne fort d’être quelque peu des prétextes de rimeur. Quand il adresse des épîtres à de jeunes beautés, c’est pour leur souhaiter « de couler doucement leur vie champêtre et de trouver dans chaque hôte une ame sympathique. » Plus loin il leur dira : « Tous les charmes que l’enthousiaste peut lire sur la face de la nature, à vous de les goûter plus intenses et plus raffinés, avec une joie inconnue aux ames vulgaires… » On sent bien là le jeune poète qui tient à honneur d’avoir l’ame délicate.

Je continue le portrait : Campbell est spirituel et vif, impression stable et fort discuteur. Il est bon et affectueux, quoique mordant et cherchant parfois à afficher sa supériorité. Certains traits qui lui font honneur se mêlent à tout cela. Il respecte ses professeurs, il s’enthousiasme pour eux. Je n’ai pas besoin d’ajouter qu’il est radical, républicain, et qu’il s’indigne vertement contre le monde de ce qu’il obéit à des nécessités que lui Campbell est incapable d’apercevoir. Un jour, en 1794, il assiste au jugement des réformateurs écossais Gérald,