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en faux contre le scepticisme de l’école radicale ; ils ne mettaient pas encore en cause l’esprit de système, la prétention de poursuivre l’absolu. Chez eux, il y avait un étrange amalgame d’inductions et de déductions, de principes et d’appels à l’expérience ; de même chez Campbell. À côté d’une image qui pose nettement sous nos yeux une réalité bien solide, arrivent des abstractions : la pitié qui veille au chevet de la souffrance, l’expression qui met la dernière main à la beauté de Vénus ! Quand le poète est parvenu à faire palpiter sous nos yeux des hommes de chair et dos, il ouvre leur cœur, et voilà que nous y voyons à l’œuvre le doute père de l’effroi. Cela même produit d’étranges combinaisons : sur la même scène s’agitent des habitans de notre monde et des êtres incorporels, des individualités et des catégories, si bien que l’œuvre dans son ensemble fait un peu l’effet d’un tableau qui présenterait sur le même plan des objets vus à des distances différentes. Étranges ou non, toujours est-il que ces contradictions existaient alors dans l’esprit de tous et y vivaient fort en paix. Je ne m’étonne pas que le jeune poète ait été accueilli avec tant d’enthousiasme : sur tous les points, il donnait raison à son temps. Les élémens hétérogènes de son style étaient un charme de plus : ils vibraient à l’unisson avec les définitions que l’on se donnait alors des choses ; avec son style, il avait su d’ailleurs exprimer les préoccupations dominantes ; par les modulations de ce style enfin, il avait su indiquer toutes les nuances que ses lecteurs avaient appris à voir dans leurs sentimens, et cela sans sortir de l’intonation réclamée par les habitudes poétiques de son temps, par les idées qu’on se faisait de la poésie. D’un seul coup il avait dit tout ce que l’esprit général avait à dire.

Encouragé par le succès de son livre, Campbell pensa bientôt à courir le monde. C’était alors vers l’Allemagne que se tournait la jeunesse littéraire ; ce fut vers l’Allemagne qu’il fut attiré. De Hambourg, où il débarqua et où sa réputation l’avait précédé, son projet était de se rendre à l’université de Iéna ; mais il avait compté un peu légèrement sans les circonstances. On était alors en 1800, et les hostilités engagées entre la France et l’Allemagne le forcèrent à se rabattre sur Ratisbonne. À Peine y était-il arrivé que les Français l’y suivirent. Du haut des remparts, il fut même témoin du combat qui ouvrit la ville à Grenier (juillet 1800). Il vit les décharges répondre aux décharges ; il entendit résonner le pas de charge des Français, et à côté de lui les boulets vinrent frapper plus d’une victime. « Ce fut là, écrivait-il bien des années plus tard, une des époques les plus importantes de ma vie sous le rapport des impressions qu’elle me laissa ; mais ces impressions causées par le spectacle de tant d’hommes morts, ou, ce qui est pis, dans l’agonie de la mort, sont si horribles pour mes souvenirs, que je fais mon possible pour les chasser loin de moi. Plus d’une fois, dans mes momens de