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malaise, j’ai été réveillé en sursaut la nuit par des cauchemars remplis de ces terribles images. » Je serais tenté de croire cependant que, sur le moment, le jeune voyageur n’était pas aussi exclusivement dominé par le sentiment des horreurs de la guerre. Les pompes des batailles semblent aussi lui avoir causé une sorte d’enthousiasme. S’il écrivit en Allemagne sa ballade du Rêve du soldat, ce fut aussi en Allemagne qu’il composa son Hohenlinden[1], et toute sa vie il aima les chants guerriers. Ce qu’il y a de certain en outre, c’est qu’à cette époque il était encore grand admirateur des Français. « Depuis l’arrivée des braves républicains, dit-il dans une de ses lettres, nous avons eu de magnifiques évolutions militaires. Des figures aussi martiales et des manœuvres aussi rapides que celles de ces petits soldats ne sauraient se rencontrer que chez les vainqueurs de Lodi et de Marengo. Tout votre enthousiasme jusqu’à la dernière étincelle vous monterait à la tête rien qu’à les voir marcher au chant de guerre de la liberté (la Marseillaise). »

On ne trouve guère d’autres traits à citer dans la correspondance du jeune voyageur. En général, ses lettres sont peu intéressantes, celles du moins qu’a recueillies son biographe : elles parlent beaucoup de ses désappointemens, de ses espérances ; elles nous le montrent tel que nous l’avons déjà vu : rêvant beaucoup, fort peu tourmenté du besoin d’arriver à la réalité des choses, fort porté, au contraire, à les idéaliser le plus possible, à les paraphraser en imagination, à faire sur chaque thème les plus belles variations auxquelles le thème puisse prêter. À ces enthousiasmes pour de doux mensonges succèdent naturellement les déceptions. Emprisonné à Ratisbonne par la guerre, il s’ennuie et finit par tomber malade. Après une courte excursion en Bavière, il revient enfin passer l’hiver à Altona, où il mène encore une vie toute d’hallucinations, de désirs et de regrets. Chose curieuse, en écrivant à ses amis, il ne dit pas un mot des Allemands qu’il a sous les yeux ; jusqu’au dernier moment, ses pensées sont toutes pour la Hongrie qu’il se flatte de visiter, pour les grands souvenirs attachés aux lieux qu’il doit voir, pour les associations d’idées qu’ils ne pourront manquer d’éveiller en lui. Des associations d’idées, nul mot peut-être ne s’est rencontré si souvent sous la plume de Campbell.

Cependant tous ces châteaux en Espagne étaient encore destinés à s’écrouler, et aux tristesses de son hiver à Altona vinrent se joindre des inquiétudes d’un autre genre. En entreprenant son voyage, il avait agi, comme il le fit souvent, sans trop calculer, sans trop s’inquiéter de mettre ses moyens en accord avec son but, ou son but en accord avec ses moyens, et l’argent lui fit défaut. Il en fut de même des inspirations

  1. C’est à tort qui on a représenté Campbell comme ayant assisté au combat de Hohenliuden. Lorsque ce combat fut livré, le voyageur était déjà loin du théâtre des hostilités.