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une tasse de thé. S’élançant alors vers une table, il s’y assit et écrivit l’heureuse idée. Il était deux heures du matin. »

Les amis de Campbell étaient du reste comme le poète : son moindre manuscrit les mettait tous en émoi. Lord Minto admirait et prenait la plume pour exprimer des doutes sur un mot. Telford, l’ingénieur écrivait (1802) au docteur Alison : « Il n’y a jamais eu rien comme lui ; il est la quintessence même du Parnasse. Avez-vous vu son Lochiel ? Il surpassera tout, anciens ou modernes. Je n’attends rien moins de lui qu’un Milton écossais, un Shakspeare ou quelque chose de plus grand encore. » Les pièces détachées, qui excitaient tant d’enthousiasme, peuvent,.comme autant de symptômes, nous permettre de saisir les transformations de la manière de Campbell. Dans celles qui avaient suivi de plus près la publication des Plaisirs de l’Espérance, on sent déjà l’influence de Walter Scott, peut-être celle des poètes allemands. Lochiel indique encore plus clairement que les temps avaient changé. Il n’était plus question de Pope ni de la poésie raisonneuse et systématique, et déjà, dans la jeune littérature, on voyait se dessiner deux écoles distinctes : , l’école méditative des lakistes, cherchant l’infini dans le réel, et l’école historique, amoureuse de pittoresque, de couleur locale, de traditions, de tout ce qui pouvait évoquer des hommes particuliers, en accentuant leur physionomie individuelle ; c’était cette dernière école qui avait entraîné Campbell dans son mouvement, comme c’était elle qui s’était emparée du public, — jusque-là du moins, car le Childe-Harold n’avait pas encore paru. — Le poète qui naguère raisonnait en vers écrivait maintenant des ballades et ressuscitait d’antiques traditions.

Un autre changement non moins notable s’était opéré en lui. Avec le gros de la jeunesse et des politiques de sentiment, il avait cessé d’être républicain. Aux exaltations humanitaires, aux enthousiasmes pour les théories absolues de la révolution, avait succédé la fièvre du patriotisme. Il s’était laissé gagner par l’élan des nationalités liguées contre Napoléon et contre l’esprit systématique et unitaire qu’il représentait. Il chantait à cette heure l’indépendance et les droits des peuples ; il s’enrôlait dans la milice dont il se faisait le Tyrtée. Lui qui, en Allemagne, s’était passionné pour les exilés d’Erin, c’est-à-dire pour les Irlandais insurgés contre l’Angleterre, il écrivait maintenant à lord Minto ces paroles remarquables : « En voyant les projets que les catholiques d’Irlande voudraient mener à fin avec l’aide des Français, je m’écrie : Peccavi, dans le fond de mon cœur. »

Quoique Campbell eût peu produit, on le voit, il n’était pas moins resté en communication, en correspondance plutôt de sentiment avec son public. Gertrude de. Wyoming fut comme une ratification plus solennelle et plus explicite de cette alliance. Un enfant de race anglaise