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par Campbell dans ses œuvres. On y reconnaît une inspiration telle qu’elle a pu se dérouler dans une ame d’homme ; mais le fantôme de l’opinion publique passa devant les yeux du poète : il ambitionnait la gloire d’être un modèle de perfection classique, et, à force de repolir et de condenser sa belle ébauche, il ne nous a laissé que quelques strophes, remarquables sans doute, mais pénibles et composées de fragmens violemment rapprochés.

Dix sept ans après Gertrude parut Théodoric (1824), et, peu avant sa mort, Campbell publia un autre poème, the Pilgrim of Glencoe (1842). De tous ses ouvrages, ce furent là les deux qui eurent le moins de succès ; ils passèrent pour ainsi dire inaperçus. L’auteur pourtant regardait le premier comme la meilleure de ses productions, et a plus d’un égard il n’avait pas tort, à mon sens. Quoique Théodoric embrasse deux épisodes qui ne s’accordent pas parfaitement et des événemens dont les uns paraissent trop minutieux à côté des autres, l’histoire y est contée avec une continuité et une simplicité qu’il n’avait pas montrée dans Gertrude. Il y a moins de recherche théâtrale, il y a plus de cette naïveté qui distingue à la fois les hautes têtes et les simples, l’enfance et la vieillesse, tandis qu’au milieu s’étend la région des prétentions, l’âge où l’on veut, où, au lieu de se laisser sentir comme on sent, on décide comment on doit sentir. Gertrude était encore la poésie de l’espérance, et du désir, Théodoric est davantage celle des souvenirs et de l’expérience ; le poète ne compose plus ses héroïnes avec ce qu’il a rêvé ; il les compose bien plus avec les traits de caractère qu’il a vus, qui lui ont causé une douce émotion, qui lui ont révélé expérimentalement leur divine nature : Incessu patuit dea. Chose notoire d’ailleurs, il a une plus grande élévation morale, un idéal plus haut placé ; il a appris à voir rayonner la majesté de ce qui autrefois n’eût pas attiré son respect. Le poème de Théodoric était appelé histoire domestique. Il renfermait en effet plus d’un passage qui rappelait bien Wordsworth, si long-temps dédaigné par le poète, et qui prouvait que Campbell avait encore marché avec le goût général ; mais l’heure était passée ou des qualités comme les siennes pouvaient remuer toute l’Angleterre.

Un insuccès pour lui était une grande nouveauté. L’épreuve néanmoins ne semble pas lui avoir été nuisible. En tout cas, qu’il faille l’attribuer à ce premier abandon du public ou aux années qui étaient venues, son âge mûr fut moins tourmenté par la fièvre des volontés impuissantes. « A l’époque où j’écrivis mes Plaisirs de l’Espérance, a-t-il dit lui-même, la réputation était tout au monde pour moi ; si on m’avait prédit combien je deviendrais indifférent par la suite à la gloire et à l’opinion d’autrui, je ne l’aurais jamais cru. » Peut-être se faisait-il plus stoïque qu’il ne l’était réellement ; toujours est-il que les terreurs primitives avaient perdu de leur intensité, et dans la seconde