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Ceci est particulier à certains esprits, et indique un amour fondé plutôt sur la forme extérieure que sur l’ame ; c’est pour ainsi dire, une idée païenne, et il n’est guère possible d’admettre, comme Restif le prétend qu’il n’a jamais aimé que la même femme… en trois personnes. Les ressemblances tiennent presque toujours à une même origine de pays ou de race, ce qui a pu se rencontrer sans doute pour Jeannette Rousseau et pour Mme Parangon. Aussi Restif suppose que Zéfire était, par sa mère, issue des mêmes contrées. En général, il y a un côté de ses systèmes philosophiques qui se mêle toujours aux récits les plus véridiques de sa vie. Il croyait à la division des races comme un Indien, et repoussait, de par ce système, les doctrines d’égalité absolue ; le croisement même de familles étrangères ne lui semblait pas changer ce résultat, car il établissait qu’en général une partie des enfans tenait plus du père, une autre davantage de la mère ; quoiqu’il admît bien en Europe un certain détritus de natures bâtardes et mélangées. Ces.problèmes bizarres ont amusé beaucoup d’hommes distingués au XVIIIe siècle ; mais nul ne porta plus loin cet esprit de paradoxe, illuminé parfois d’un éclair de vérité.

Si touchante qu’ait été la mort de Zéfire et la pensée d’expiation qui s’y rapporte, on ne peut s’empêcher de déplorer l’influence fatale qu’eut cette aventure sur les ouvrages et les mœurs de l’écrivain. Comme le sentait si justement Loiseau, l’on ne touche pas impunément à la corruption. Le Pornographe, ouvrage à prétentions morales, mais où l’auteur se complaît à exposer des raisonnemens d’une moralité fort contestable, fut le résultat des méditations de Nicolas sur le sort d’une certaine classe de femmes qu’il devait se borner à plaindre sans chercher à les relever.


XII. – SARA.

Nous arrivons à une époque féconde en enseignemens profonds et en souvenirs douloureux. Nicolas n’est plus le beau danseur d’Auxerre, l’apprenti bien-aimé de Mme Parangon, l’amoureux de ces onze mille vierges, tant soit peu martyres la plupart, qui se nommaient Jeannette Rousseau, Marguerite Pâris, Manon Prudhot, Flipote, Tonton Laclos, Colombe, Edmée Sérvigné, Delphine Baron ou Rose Lambelin, ce n’est plus même l’amant déjà formé de Mlle Prudhomme et de la belle Mlle Guéant, ni le galant obscur que la blonde Septimanie, comtesse d’Egmont, avait pu choisir pour suppléer aux froideurs de noble époux. — Nous sommes cette fois en 1780 ; Nicolas a quarante-cinq ans. Il n’est pas vieux encore, mais il n’est plus jeune déjà ; sa voix s’éraille, sa peau se ride, et des fils d’argent se mêlent aux mèches de cheveux noirs qui se laissent voir parfois, sous sa perruque négligée.