Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/817

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le riche peut garder long-temps la fraîcheur de ses illusions, comme ces primeurs et ces fleurs rares qu’on obtient chèrement au milieu de l’hiver ; mais le pauvre est bien forcé de subir enfin la triste réalité que l’imagination avait dissimulée long-temps. Alors malheur à l’homme assez fou pour ouvrir son cœur aux promesses menteuses des jeunes femmes ! Jusqu’à trente ans, les chagrins d’amour glissent sur le cœur qu’ils pressent sans le pénétrer ; après quarante ans, chaque douleur du moment réveille les douleurs passées, l’homme arrivé au développement complet de son être souffre doublement de ses affections brisées et de sa dignité outragée.

À l’époque dont nous parlons, Nicolas demeurait rue de Bièvre, chez Mme Debée-Léeman. Cette dame était une juive d’Anvers de quarante ans, belle encore, veuve d’un mari problématique, et vivant avec un M. Florimont, galand émérite, adorateur ruiné et réduit au rôle de souffre-douleur. À l’époque où Nicolas vint se loger chez Mme Debée, il remarqua à peine une jeune fille de quatorze ans, qui déjà reproduisait sous un type plus frais et plus pur les attraits passés de la mère. Pendant les quatre années suivantes, il ne songea même à cette enfant que quand il entendait sa mère la gronder ou la battre. Elle était cependant devenue, à la fin une grande blonde de dix huit ans, à la peau blanche et transparente ; elle avait dans la taille, dans les poses, dans la démarche, une nonchalance pleine de grace, et dans le regard une mélancolie si touchante, que, rien qu’à la regarder, Nicolas se sentait souvent les larmes aux yeux. C’était un avertissement de son cœur, qu’il croyait mort, et qui n’était qu’endormi.

Depuis fort long-temps, Nicolas vivait seul, ne parlant à personne, travaillant le jour, et le soir errant à l’aventure le long des rues désertes. Ses amis étaient morts ou dispersés, et il était peu à peu tombé dans cet affaissement profond, dans cette indifférence complète qui suit ordinairement une jeunesse trop agitée. Enfin il était tranquille du moins dans son anéantissement, quand, un dimanche matin, une petite main blanche frappa doucement à la porte de sa chambre. Il ouvrit. — C’était Sara.

— Je viens, dit-elle, monsieur Nicolas, vous prier de me prêter quelque livre dont vous ne vous serviez pas ; vous en avez beaucoup, et moi j’aime la lecture.

— Choisissez, mademoiselle, dit Nicolas ; ensuite vous êtes bien maîtresse de les lire tous les uns après les autres.

Sara paraissait si timide, elle avait si peur d’être importune, sa modestie, sa rougeur, son embarras, étaient si naturels, que Nicolas s’adonna entièrement au charme. Elle resta peu, et, en sortant, elle présenta son front au baiser paternel de l’écrivain.

Toute la semaine, elle travaillait chez les demoiselles Amei, où sa