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Sara se cacha honteuse dans les bras de Nicolas, puis elle leva vers lui son visage souriant à travers les pleurs.

— Oh ! parle toujours, dit-elle, mais laisse-moi t’admirer dans ton enthousiasme, dans ta bonté, dans ton génie… Avant ce jour, j’aimais à t’écouter surtout… maintenant je te regarde, et je te trouve jeune et beau ; oh ! que j’envie celles que tu as aimées !

— Une seule te valait, ma Sara ! mais elle n’avait pour moi que de l’amitié… Elle n’est plus… Reparlons de cet amour bizarre où je me substituais en pensée à celui qui me paraissait plus digne de toi que moi-même ; tu ne sais pas jusqu’où allait ma folie… Il y a un endroit où j’aime à me promener le soir ; on y voit les plus beaux couchers de soleil du monde : c’est l’île Saint-Louis… Eh bien ! en m’appuyant, à travers mes contemplations, sur les pierres tristes du quai. J’y gravai furtivement les initiales du nom que je t’avais choisi : AD. AD. Cela signifiait pour moi : Adeline adorée

— Oh ! nous irons ensemble au premier beau jour, et tu une feras voir ces lettres, dit Sara, et tu me diras tout ce que tu pensais en les gravant !

— Oui, mon amie, puisque tu le veux… mais, hélas ! je suis plus vieux d’un an encore, et j’ai tant souffert !

Sara se jeta à son cou riant et pleurant tour à tour, versant un baume divin sur les blessures du malheureux.

— Tes chagrins aussi seront les miens ! dit-elle. Nous parlerons ensemble de cette femme d’Auxerre que tu aimais tant…

— Oh ! dit Nicolas, tant de joie… tant de peines… tout cela me brise le cœur ! Que Dieu te bénisse, m a fille, mon enfant ! Oui. je t’aime… J’ai encore la folie de t’aimer ; pardonne-moi…

En ce moment, on entendit dans l’escalier la voix de la veuve Léeman appelant sa fille pour le déjeuner.

— Je suis forcée de descendre, dit Sara ; j’ai seulement un mot à vous dire avant de vous quitter.

— Tu me dis vous maintenant ?

— Non, c’est une distraction… Je voulais te parler d’une de mes amies que tu as pu voir avec moi, car elle travaille chez la même marchande de modes… Mlle Charpentier.

— Je l’ai vue ; elle est charmante.

— Et elle est si bonne !… mais, en vérité, je n’ose te dire…

— Quoi donc ? parle vite, ma charmante enfant !

— Je crains si fort d’être indiscrète… Mon amie a perdu sa mère, qui, après une longue maladie, ne lui a laissé que des dettes… Que je voudrais être riche pour la pouvoir obliger !… Il ne faudrait, quant à présent, qu’un louis pour la tirer du plus grand embarras !… Elle le rendrait dans six semaines…