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même en eût été moins froissé sans doute ; mais la lettre de Sara, qui d’ailleurs ne disait pas un mot de la partie de Campagne, indiquait un danger d’une autre nature. Tendant qu’il réfléchissait ballotté dans cette incertitude, la voiture était repartie, car Mme Léeman n’était revenue chez elle que pour prendre quelques effets. Courir après une voiture pour savoir où elle s’arrêterait, Nicolas l’avait tenté jadis avec succès ; mais quelle apparence qu’à plus de quarante ans on pût renouveler ce tour de force ! Il fallut attendre toute la nuit et tout un jour encore.

Le surlendemain, Sara frappait à la porte de son ami d’une manière bien connue ; il renverse tout pour ouvrir. Sara lui dit d’un air glacé :

— Eh bien ! qu’est-ce donc ? m e voilà !

— Qu’est-ce donc ?… mais vous ai-je rien dit, ma pauvre enfant ?

— Non, dit Sara embarrassée, mais votre air effaré… . — Mon air n’était pas un reproche… Vous avez prévu seulement qu’après une absence de trois jours…

— Vous dînerez avec nous, n’est-ce pas ? reprit Sara, qui s’était tenue près de la porte, et que sa mère rappelait dans cet instant.

Nicolas vit bien que tout était fini. « Maintenant, se dit-il, soyons véritablement père, et sachons si cet homme est capable de la rendre heureuse. » Il descendit pour le dîner et y trouva M. de La Montette. C’était un homme de près de quarante ans, que les passions ne semblaient jamais avoir beaucoup inquiété… Nicolas se sentit très inférieur à son rival, et crut encore qu’il ne s’agissait que d’un mariage de raison ; la réserve de la jeune fille s’expliquait par là ; seulement il eut le chagrin de ne plus sentir le petit pied de Sara s’appuyer sur le sien.

Le dîner se serait terminé fort convenablement, si vers la fin la mère, dans un moment d’expansion, ne se fût écriée, en regardant M. de La Montette : « Et dire que nous ne connaissions pas monsieur il y a quinze jours ! Si M. Nicolas était venu nous rejoindre avant sept heures, nous avions le projet d’aller au spectacle, et nous n’aurions pas eu le plaisir de rencontrer un cavalier si aimable,… qui est devenu pour nous un véritable ami ! » O supplice ! pendant que Nicolas se disait « Et il faut m’avouer, encore que c’est ma faute ! » Sara se penchait languissamment sur le bras du créole et ne semblait point choquée de l’exclamation triviale de sa mère. Il appela toute sa philosophie à son aide et ne marqua nul étonnement. Après le dîner, on alla se promener au Jardin des Plantes. La politesse commandait que l’invité prit le bras de Sara, ce qui obligeait Nicolas d’offrir le sien à la mère ; mais il songea aussitôt que c’était la corvée habituelle de Florimond, lequel était parti pour un voyage relatif aux affaires de la veuve. Nicolas, déjà rompu comme écrivain, craignit les regards ; et se contenta de marcher