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convenable variété dans les collaborateurs, assez grande pour qu’on pût assortir des talens bien choisis à des sujets très divers, pas assez pour que l’unité de l’ensemble en fût compromise ; puis une direction libérale, élevée, surtout très ferme, afin d’exclure impitoyablement l’insuffisance, de mettre à sa place la médiocrité toujours fertile et prête à tout, de tenir en bride la précipitation et de faire même la loi au talent. Reconnaître que M. Franck a réuni toutes ces conditions, c’est sans doute un rare éloge, mais cet éloge n’est que la vérité. Pendant dix ans, l’habile directeur du Dictionnaire a poursuivi la tâche commencée, sans laisser faiblir un seul moment cette indomptable constance qui seule pouvait maintenir, à travers les agitations morales et les embarras matériels de ces derniers temps, une entreprise faite pour une époque paisible et pour un public attentif.

Les juges compétens se sont accordés à reconnaître que la partie la plus remarquable de ce vaste travail, c’est la partie historique. Érudition étendue et précise, connaissance directe des monumens, critique saine et approfondie, intelligence des systèmes, singulière sagacité à saisir leurs rapports de filiation, à montrer leurs différences et leurs analogies, voilà des mérites tout-à-fait rares, qui font du Dictionnaire des sciences philosophiques un ouvrage unique en son genre, bien honorable pour la science française, devenue la digne émule des écoles de Munich et de Berlin. La partie dogmatique était, on le conçoit sans peine, plus exposée aux objections. On a signalé un certain nombre d’articles faibles ; on a noté quelques défauts d’accord bien concevables entre des morceaux écrits par des mains différentes ; on a dit enfin qu’en résumé ce dictionnaire, excellent pour la critique, incomplet pour la théorie, réfléchissait les qualités et les défauts de l’école d’où il est sorti.

Pour apprécier la portée de ce jugement, il faut songer que nous n’avons point ici affaire à une école qui ait accompli sa carrière et dit son dernier mot. Sa première phase a été, il est vrai, essentiellement critique ; mais elle est entrée ensuite, et ce n’est pas d’hier, dans sa seconde période, celle de l’organisation et de la théorie, où elle marche aujourd’hui à grands pas. Signalons un symptôme expressif de cette direction nouvelle. En ce moment même, au sein d’un corps illustre où l’école éclectique a ses représentans les plus renommés, la section de philosophie et la section de morale, animées du même esprit, proposent deux grands sujets d’étude ; or, ce ne sont plus comme autrefois des sujets historiques, lesquels, pour le dire en passant, n’ont manqué ni d’à-propos ni d’utilité, puisqu’ils ont suscité quelques-uns des meilleurs ouvrages de notre époque : ce sont des sujets dogmatiques, parfaitement appropriés aux besoins actuels et ramenant la pensée sur les principes