Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/881

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il y a trois siècles, un prodige de grace, de jeunesse et de sérénité. Le regard légèrement ironique, les fossettes placées aux coins de la bouche, donnent à la physionomie de Monna Lisa un accent incomparable que l’on n’a jamais dépassé. Les mains sont modelées avec une finesse, une élégance qui ne laisse rien à désirer. Les cheveux, le cou et la poitrine sont traités avec une précision désespérante ; l’œil ne se lasse pas de contempler, ce beau visage qui respire le bonheur, où les passions n’ont encore gravé aucune ride, mélange idéal de jeunesse, d’intelligence et de bonté. Tout a changé depuis trois siècles, et tout est demeuré, après le changement, si parfaitement harmonieux, qu’à peine l’œil s’aperçoit-il des altérations profondes que la couleur a subies, et dont le temps n’est pas seul responsable, car bien des œuvres antérieures au portrait de Monna Lisa ont gardé leur fraîcheur et leur nouveauté. C’est surtout à Léonard lui-même qu’il faut rapporter la transformation de ses œuvres. Toutefois, si le portrait de Monna Lisa n’a plus aujourd’hui la fraîcheur et l’éclat qui éblouissaient Florence au commencement du XVIe siècle, c’est toujours un modèle de dessin, un des masques les plus fins qu’on puisse citer dans l’histoire entière de la peinture. La. Vierge sur les genoux de sainte Anne que nous voyons au Louvre est probablement l’œuvre de Salaï ou de Luini, car nous savons que François Ier a vainement insisté pour que Léonard exécutât lui-même le carton qu’il avait apportées de Florence. Les autres œuvres du même maître que nous possédons à Paris, si j’en excepte le portrait de femme qui s’est appelée tour à tour, sans fondement, Anne de Boleyn et la belle Féronnière, et qui maintenant s’appelle sans preuves Lucrezia Crivelli, bien qu’ils se recommandent par des qualités éminentes, ne méritent pas la même attention que Monna Lisa ; ils ont presque tous subi des retouches fâcheuses, depuis le Saint Jean jusqu’à la Vierge aux Rochers.

Le traité de peinture publié à Paris, à Rome et à Milan, sous le nom de Léonard n’est certainement pas le traité qu’il avait composé. C’est un recueil de notes qui ont pu, qui ont dû servir à la composition du traité, mais il est impossible d’accepter cet assemblage comme une œuvre définitive. À côté de préceptes excellens, fondés sur l’étude de la nature, de conseils techniques dont la justesse ne saurait être révoquée en doute, on y trouve une foule de maximes banales qui amènent le sourire sur les lèvres, et que sans doute Léonard avait transcrites sans y attacher grande importance. Parmi les trois cent soixante-cinq chapitres dont se compose l’édition de Milan, il y en a plus d’un qu’on ne peut lire sans étonnement, et dont l’évidence n’a rien à démêler avec l’enseignement d’une science ou d’un art quelconque. Autant vaudrait signaler la différence du jour et de la nuit, de l’air et de l’eau, de la flamme et de la neige. Ces prétendus chapitres, qui souvent n’ont pas