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le pays est tenté jusqu’à l’excès de se débarrasser de lui-même sur quelqu’un, ces nombreux rejetons d’une même lignée n’ont qu’à rester attachés ensemble pour attirer naturellement les regards et les coeurs. Il n’y a plus de prétendans, il n’y a que des en-cas. Le plus sûr en-cas de la France à tel jour que personne n’a droit de prévoir, pourquoi ne serait-ce pas le faisceau de toutes ces volontés fraternelles réunies par un même dévouement au service de la patrie ?

Nous n’entreprenons pas d’assigner ici à la mémoire du roi Louis-Philippe la part qu’elle aura dans l’histoire : ce n’est ni le moment ni le lieu d’une pareille tâche ; disons seulement que cette part sera grande à plus d’un titre, que les fautes tout comme les qualités de cette éminente personne la rangeront parmi les figures les plus caractérisées de notre âge. Entre ces qualités dont quelques-unes furent puissantes, il en est cependant qu’aujourd’hui nous trouvons encore plus remarquables par la comparaison que nous sommes à même de faire, et nous nous plaisons à les rappeler pour l’instruction de cette ère nouvelle où nous semblons engagés. Le roi Louis-Philippe avait, par exemple, l’esprit libéral au meilleur sens du mot ; s’il n’écoutait pas toujours les inspirations de cet esprit-là, et quelquefois sans doute il avait raison de s’en défier, il n’en était pas moins, à tout prendre, libéral par tempérament. Nourri dans les habitudes anglaises, il croyait à l’efficacité de la discussion et à la souveraineté de la loi ; il avait le culte de la légalité. Associé aux premiers efforts de la révolution contre l’étranger, imbu des principes de droit et d’humanité du XVIIIe siècle, il était, comme il le disait lui-même, non pas un révolutionnaire, car il avait horreur de la force, mais un revolutionist, parce qu’il aimait l’empire de la raison. Nous avons vu depuis quelque temps, et cela par malheur dans les camps les plus opposés, des beaux-esprits profonds ou de violens génies qui chacun à leur mode, nous ont montré bien à nos dépens tout ce que valaient ces rares mérites d’un prince bourgeois.

Nous avons vu les fondateurs les plus accrédités de la république, les apôtres les plus populaires des réformes sociales, demander à la nation pour première condition de leur réussite, non pas seulement trois mois de misère, mais un an, mais trois ans, mais tout un avenir de servitude, commençant ainsi le triomphe de leur prétendue liberté par l’inauguration de la dictature ; — et, quand ces dictateurs insensés ont enfin succombé sous l’inanité de leurs chimères, nous avons encore le chagrin de retrouver ce même mépris de la liberté, de la loi et de la raison chez beaucoup de ceux ni se disent les défenseurs de l’ordre moral et politique, les soutiens de la patrie, non pas assurément chez les plus éprouvés et les plus illustres, mais chez les plus novices, qui, comme toujours, sont les plus bruyans. On nous enseigne que les fondemens sur lesquels tout notre monde est assis depuis 1789 ont été posés au hasard par la fraude, le mensonge et la vanité ; que les bienfaits de la révolution ne sont pas le fruit d’un enfantement légitime et salutaire de l’esprit humain, que ce sont des fruits amers dus aux larcins d’un petit nombre de brigands, de fourbes et de rhéteurs. On nous enseigne que ce monde misérable n’a plus nulle part où s’abriter si ce n’est sous la tente des prétoriens, et de grands moralistes, qui sont bien obligés de passer d’abord condamnation sur eux-mêmes, nous vouent à perpétuité, en punition de nos crimes, au gouvernement des coups de main, au régime des Césars de Suétone. Le roi Louis-Philippe a dû plus d’une fois sourire avec quelque