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publique n’a plus jamais admis d’appel. Personnellement, nous sommes très disposé à regarder ces jugemens instinctifs comme les seuls véritables, et à ne recevoir contre eux aucune des oppositions de la logique, très humble servante, à notre gré, du sens moral ; mais M. de Chateaubriand n’était pas tenu à partager cette opinion : au contraire. Dès-lors ne pouvait-il pas, dans sa situation, trouver quelque chose, et quelque chose même de plausible, à dire en faveur du premier acte de sa jeunesse ? N’y avait-il pas moyen de le présenter comme une protestation imprudente, mais non sans noblesse, contre le point de vue légèrement matérialiste sous lequel le droit public reçu aujourd’hui envisage la patrie ? Y avez-vous suffisamment réfléchi, pouvait-il nous dire avec la gravité qu’il aurait dû avoir, en proclamant sans ménagemens, sans distinctions, que le sol natal à lui seul, quel que soit le possesseur improvisé qui l’occupe, représente et concentre tout cet ordre d’idées et de sentimens que le nom de patrie réveille ? Cette théorie, poussée à ses dernières conséquences, ne contient-elle pas une justification implicite de toutes les immorales capitulations de conscience dont rougissent les temps révolutionnaires ? Quel appât n’offre pas aux ambitieux de hasard cette doctrine ouvertement prêchée, que, pourvu qu’ils aient, à un jour donné, par je ne sais quel tour de main, confisqué les signes extérieurs et matériels du pouvoir, les voilà, par cela seul, par ce fait brutal et sensible, investis d’une représentation éminente de la patrie, les voilà possédant non-seulement le pouvoir, mais le droit de commander, et pouvant non-seulement nous contraindre, mais nous obliger ! La patrie serait donc le premier venu qui parle en son nom, quand bien même ce serait seulement le silence, la stupéfaction générale qui lui permettraient de se faire entendre, quand bien même la nation entière, ou terrifiée se cache, ou surprise se tait ! Et supposez qu’on prête encore plus d’élasticité à cette définition déjà large de la patrie, qui la met cavalièrement au-dessus de toutes les formes et de tous les principes et même de tous les crimes des gouvernemens ; supposez qu’on arrive à cette considération, que, pour bien servir la patrie ainsi définie, il est nécessaire d’avoir ou de garder une fonction publique avec appointemens réglés, et voyez la conséquence commode d’un pareil catéchisme politique ! Maintenant imaginez encore qu’une révolution fasse un pas de plus ; qu’elle attaque non pas seulement de vieux principes de droit politique dans lesquels l’idée de patrie s’était depuis long-temps incarnée, mais même ces idées fondamentales sur lesquelles repose la conscience humaine, même ces liens sacrés qu’on ne peut rompre sans qu’ils emportent avec eux des lambeaux de notre cœur, direz -ous encore qu’il faut la servir, quoi qu’il arrive ? Reconnaîtrez-vous la patrie sans la propriété et la famille, dont elle n’est que la plus haute expression ? Y aura-t-il une patrie, en dépit de l’étymologie et