Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 7.djvu/964

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous ses mystérieuses apparences, que les deux interlocuteurs se taisaient, saisis d’une admiration commune pour l’image visible d’une grandeur commune. Le ciel d’Afrique rend religieux. C’est celui que Cicéron vit dans ce songe où l’on découvre tout-à-coup sous sa prose païenne les bleues et nocturnes profondeurs d’une vision de Jean-Paul.


II. - PREMIERE SOIREE. – LA PROFESSION DE FOI DU CAPITAINE PLENHO.

Quelques instans avant de se mettre à table, à l’heure où le soleil se couche, les trois Français étaient réunis sur la terrasse du bordj, et ils contemplaient un tableau que je recommanderais au pinceau d’un grand peintre. – Il y avait dans le paysage cette couleur dont Claude Lorrain eut le secret, et ce sentiment ineffable de mélancolie, cette tristesse sereine et profonde que rendait le génie de Poussin. La vaste plaine qui s’étend entre la montagne et la rivière sur laquelle s’élève le bordj était déserte. Le soir y projetait déjà quelques ombres, tandis que les montagnes à l’horizon se levaient étincelantes comme des fantômes de gloire. Au milieu de cette solitude, un homme était agenouillé : c’était Mohammed faisant sa prière du soir dans les formes prescrites par le Koran.

— J’avoue ; dit le docteur, que ce spectacle me touche, quoique ce fanatique qui est là-bas s’abandonne à d’aveugles superstitions en prenant des attitudes contraires à la dignité de l’homme. Tous les jours, ajouta-t-il, d’un ton sentencieux, je me confirme dans mon opinion, qui du reste est celle des grands maîtres : je repousse les religions, mais je m’incline devant Dieu devant un Dieu ami de la raison, ennemi du fanatisme, dégagé des prêtres…

— Enfin devant un Dieu philosophe, interrompit Plenho, repoussant la milice des saints et la noblesse des martyrs pour choyer le prêtre bon vivant, l’honnête homme qui se moque du maigre et maint autre personnage de même nature. Je connais vos rêves, docteur. Vous voulez aussi un dieu populaire, brouillé avec l’étiquette, déclinant tout honneur, le premier magistrat et non pas le monarque de la création.

— Je ne veux pas, répartit le docteur, outré de ce persiflage, du Dieu des moines, des capucins, des momeries…

— Vous vous échauffez, docteur, fit Plenho, et le dîner se refroidit : deux mauvaises choses. Allons nous mettre à table, et nous reprendrons ensuite notre discussion.

Quand le dîner fût fini, quand les pipes furent allumées et quand ce premier moment fut passé du silencieux recueillement dont on éprouve volontiers le besoin après un honnête repas :

— Je suis sûr, docteur, dit Plenho, que vous me trouveriez bien ridicule, si je disais en ce moment mes graces ? Votre orgueil philosophique